5ème audience publique de la Commission vérité, justice et réconciliation : Témoignages poignants de victimes sur leur traumatisme 

Les audiences publiques ne sont pas judiciaires. Les tribunaux cherchent à établir la culpabilité ou l’innocence des auteurs présumés, ici seules les victimes seront entendues

Bamako, 13 juin (AMAP) Douze victimes (dix femmes et deux enfants) ont témoigné publiquement lors de l’audience publique de la Commission vérité, justice et réconciliation (CVJR), samedi dernier.

La rencontre s’est déroulée au Centre international de conférences de Bamako (CICB). L’ouverture des travaux a été présidée par le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga, en présence des membres du gouvernement et du président de la CVJR, Ousmane Oumarou Sidibé.

Le thème de la rencontre portait sur : «Femmes victimes de violences sexuelles et enfants victimes de conflits». 

Juste après la cérémonie d’ouverture des travaux, les victimes sont, successivement, passées pour raconter les «atrocités» qu’elles ont subies du fait des conflits. Ainsi, la première victime que nous présentons sous les initiales F. T. a été «violée» par sept hommes lors des événements de 2012 à Gao (Nord). «Ce jour-là, ils sont venus chez nous et ont ligoté tous les hommes avant d’abuser de moi devant un de mes enfants dans le salon», a-t-elle relaté, les larmes aux yeux.

Le mari de notre «héroïne» a disparu du fait de cette situation. Et son enfant, qui a été «témoin» de cet événement horrible, s’est séparé d’elle, car ne supportant plus de la regarder dans les yeux. «Aujourd’hui, je vis seule en location avec les autres enfants et je n’arrive plus à faire face à leurs besoins», a témoigné F. T. Avant de demander l’assistance des autorités. 

Quant à la deuxième victime que nous renommons B. K., elle a été «enlevée» et «violée» par un terroriste. Les faits se sont déroulés, en 2012, également à Gao. D’après elle, ce jour-là, son bourreau est venu à la maison demander sa main. «Mais, ma mère a refusé en répliquant que j’étais déjà mariée. Ce que le terroriste n’a pas digéré. Il a envoyé, après, sept personnes pour m’emmener de force chez lui, avant de passer à l’acte», a déclaré celle qui a 40 ans aujourd’hui. B. K. avait un enfant à l’époque et elle allaitait. «Lorsque mon mari est revenu dans la ville, il a récupéré notre enfant. Et depuis, je suis restée avec ce terroriste jusqu’à la libération de Konna par les Forces armées maliennes et françaises en janvier 2013», a-t-elle témoigné.

FILS DU TERRORISTE – Entre-temps, B. K., qui était tombée «enceinte», accouchera plus tard. À cause de cette situation, sa famille l’a «bannie». Et l’enfant qu’elle a eu de cette union forcée est pointé du doigt dans le quartier comme le «fils du terroriste». La quadragénaire a demandé aux autorités,  lors de l’audience, de lui trouver un autre lieu de résidence afin de se mettre à l’abri de la «stigmatisation».

Quant aux deux enfants victimes de conflits, l’un a été enrôlé de force par un groupe terroriste et l’autre amputé du pied droit.

L’histoire du premier s’est déroulée, en 2012, à Tombouctou. Au moment des faits, il n’avait que 11 ans. «Un jour, les terroristes sont venus chez nous pour nous dire qu’ils veulent enrôler des combattants. C’est ainsi qu’ils m’ont emmené dans un centre où on a fait trois mois de formation militaire. Après, ils nous ont déployés aux postes de contrôle routier», a déclaré celui qui a 23 ans aujourd’hui. «Et lorsque ma mère a appris cela en Mauritanie, elle est revenue pour faire la médiation afin que je puisse être libéré. C’est ainsi qu’on m’a libéré», a-t-il ajouté. 

Du fait de cette situation, notre victime a pris d’énormes retards dans ses études. «Cette année, je passe le Diplôme d’études fondamentales (DEF) alors que je devais être en terminale», a regretté le jeune homme. Avant de demander l’accompagnement des autorités pour ses études. 

S’agissant du second enfant victime, les faits le concernant se sont déroulés, en 2013, à Gao. Un jour, en promenade avec ses amis dans la rue, le garçon a eu une balle perdue dans le pied droit. Son évacuation vers un centre de santé prit du retard. «Quand on est arrivé à l’hôpital, on nous a informé que le pied s’est infecté et qu’il faut l’amputer», a expliqué le jeune homme qui s’exprimait dans une projection diffusée lors de la rencontre. À cause de cette situation, il n’a pu poursuivre ses études et ses ambitions de devenir footballeur ont ainsi été brisées.

RENDRE AUX VICTIMES LEUR DIGNITÉ – Avant ces témoignages poignants le président de la CVJR, Ousmane Oumarou Sidibé, avait relevé que depuis son indépendance, le Mali a connu des rebellions armées et des crises politiques qui ont occasionné des violations graves de droits de l’Homme. Il a mis l’accent sur les violences perpétrées spécifiquement sur des femmes et des enfants, M. Sidibé, a expliqué que la Commission a été mise en place, dans ce contexte, avec le mandat «de contribuer à l’instauration d’une paix durable à travers la recherche de la vérité, la réconciliation et la consolidation de l’unité nationale et des valeurs démocratiques».

Il a, par la suite, précisé que les audiences publiques ne sont pas judiciaires. «À la différence des tribunaux qui cherchent à établir la culpabilité ou l’innocence des auteurs présumés, ici seules les victimes seront entendues», a-t-il clarifié. 

Selon Ousmane Oumarou Sidibé, l’audience publique permet de rendre aux victimes leur dignité, d’intégrer leurs récits à la mémoire nationale et de faciliter un début de guérison. Il s’agit donc, a indiqué le président de la CVJR, d’une contribution concrète à la promotion du dialogue, du pardon, de la réconciliation nationale et de la paix. Toutes choses qui sont «au cœur des missions assignées à la Transition».

« Reconstruire la paix à travers la cohabitation communautaire et la réconciliation nationale est une priorité vitale pour la survie de notre nation à laquelle l’ensemble des forces vives doivent s’engager résolument, aujourd’hui plus qu’hier », a declaré le Premier ministre. 

Pour Dr Choguel Kokalla Maïga, le gouvernement ne ménagera pas ses efforts pour accompagner les communautés et les individus à aller vers le pardon et la réconciliation. 

D’où l’adoption récente par le Conseil des ministres de la Politique de réparation des victimes des crises maliennes de 1960 à nos jours. 

Le chef du gouvernement a, ensuite, annoncé qu’un projet de loi sur la réparation et un autre créant un organe de réparation sont en ce moment dans le circuit d’approbation. Il a, par ailleurs, réaffirmé l’engagement des autorités à mener une lutte sans merci contre les auteurs des violences faites aux femmes et aux enfants.

BD/MD (AMAP)