
Manifestations de protestation pour le départ de l’ancien président
Par Dieudonné DIAMA
Bamako, 17 août (AMAP) L’année 2020 n’aura pas été de tout repos pour l’ancien chef de l’Etat malien et son gouvernement. Pendant plusieurs mois, les écoles étaient fermées pour cause de grève des enseignants. La crise de la Covid-19 est venue s’ajouter à cette crise, conduisant les autorités à prendre certaines mesures dont le couvre-feu, contesté par une partie de nos compatriotes. Entre-temps, des voix se sont élevées pour dénoncer la mauvaise gouvernance, l’insécurité grandissante, le détournement des fonds destinés à la Loi d’orientation et de programmation militaire (LOPM), l’achat d’équipements militaires, etc.
Dans ce contexte, l’ancien président du Haut conseil islamique, l’imam Mahmoud Dicko a été convoqué au Tribunal de la Commune IV de Bamako, pour «affaire le concernant». La raison, selon son porte-parole, Issa Kaou N’Djim, est que le leader religieux a, au cours d’un meeting, dénoncé « la corruption, l’affaire des avions cloués au sol, des blindés en carton, la mauvaise gouvernance…». Face à la mobilisation de ses partisans devant le tribunal, l’audition de l’imam a été reportée. La foule, en colère, s’est transportée à la mosquée où officie le leader religieux à Badalabougou. Un meeting a été organisé au Palais de la culture pour appeler à un plus grand rassemblement quelques jours plus tard.
Les propos tenus par l’imam Dicko avaient, en son temps, fait réagir les présidents des institutions de la République qui, dans un communiqué, ont dénoncé la «diffusion sur les médias et les réseaux sociaux des propos insurrectionnels, subversifs et séditieux tenus par l’imam Mahmoud Dicko et la coordination se réclamant de ses idéaux contre les autorités légitimement établies par le peuple malien». Ils ont condamné ces agissements et engagé le gouvernement à « mettre fin à l’impunité par une application rigoureuse des dispositions pénales, pour la préservation de l’ordre public et de l’état de droit».
Pendant ce temps, la situation se crispait davantage sur le plan politique avec la prorogation des mandats des membres du Haut conseil des collectivités, des conseillers communaux et des députés à deux reprises sur un avis favorable de la Cour constitutionnelle. Ce qui, de l’avis général, s’est fait en violation de la Constitution et des conventions internationales en matière de démocratie et de gouvernance. A cela s’est ajoutée l’insécurité grandissante avec son cortège de morts civils et militaires qui ont exacerbé le mécontentement général.
La goutte d’eau qui a fait déborder le vase est la proclamation des résultats définitifs des élections législatives de mars-avril 2020 par la Cour constitutionnelle. La contestation sociale a atteint son point culminant après que la Cour a rendu son arrêt.
DOS AU MUR – C’est dans ce contexte qu’à l’appel du Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD), d’Espoir Mali Koura (EMK) et de la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’Imam Mahmoud Dicko (CMAS), des milliers de personnes se sont retrouvées le 5 juin 2020 à la Place de l’Indépendance pour un meeting. La manifestation annoncée comme pacifique s’est achevée par des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre à Djicoroni-Para, un quartier de Bamako.
Les manifestants ont « exigé » la démission du chef de l’état « le même jour avant 18 heures». A l’expiration de l’ultimatum, certains se sont dirigés vers la résidence du président Keïta à Sébénicoro pour «exiger sa démission». Les forces de l’ordre ont dû faire usage de gaz lacrymogènes pour les disperser. Après cette manifestation, les contestataires ont décidé de maintenir la pression. Suite au succès retentissant de ce rassemblement, les différentes entités politiques et de la société civile ayant pris part se sont constituées en Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP). La Cour constitutionnelle était dans leur viseur suite à son arrêt controversé sur les résultats définitifs des législatives.
De même, ils réclamaient la démission du chef de l’Etat pour mettre en place une transition. Sous la pression, quatre membres de la Cour constitutionnelle ont rendu le tablier. Leur démission a été précédée par le décès d’un des leurs. Le 11 juin 2020, le gouvernement a démissionné et le chef de l’Etat a renouvelé sa confiance au Dr Boubou Cissé comme Premier ministre, qui a mis en place une équipe restreinte de six ministres, en attendant la suite du dialogue avec les contestataires.
Quelques jours après, pour tenter de calmer la tension sociale, au cours d’une rencontre avec les forces vives de la Nation au Centre international de conférences de Bamako (CICB), le président de la République a annoncé « l’application immédiate de l’article 39 ». Une autre mesure qu’il a prise est l’abrogation du décret de nomination des membres restants de la Cour constitutionnelle et son remembrement par le décret n° 2020-0342/P-RM du 7 juillet 2020. Mais rien n’y fit. Les manifestations se sont poursuivies et les contestataires du régime ont continué à durcir le ton, ne réclamant désormais plus que la démission pure et simple du chef de l’Etat.
MÉDIATION – Face à cette situation, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a offert sa médiation. Une première délégation ministérielle a rencontré les « protagonistes » à la mi-juin 2020 à Bamako, avant de faire des propositions parmi lesquelles, la reconstitution de la Cour constitutionnelle. Cette proposition a été réitérée par la mission conduite par l’ancien président nigérian, Goodluck Jonathan, médiateur de la CEDEAO dans la crise malienne et ensuite par cinq chefs d’Etat de l’Organisation sous régionale qui ont fait le déplacement à Bamako le 23 juillet 2020.
Il s’agit de l’ancien président du Niger, Issoufou Mahamadou, d’Alassane Ouattara de la Côte-d’Ivoire, Macky Sall du Sénégal, Muhammadu Buhari du Nigeria et Nana Akufo-Addo du Ghana. Après leur visite au Mali, les présidents ouest-africains ont tenu un sommet extraordinaire, le lundi 27 juillet 2020, par visioconférence au cours de laquelle ils ont indiqué que la Cour constitutionnelle devait être recomposée rapidement, tout en proposant également la «démission immédiate» des 31 députés dont l’élection est contestée parmi lesquels, le président de l’Assemblée nationale, Moussa Timbiné.
Entre-temps, le M5-RFP a proposé un mémorandum qui a été rejeté par le camp présidentiel. À travers ce document, le Mouvement proposait, entre autres, la dissolution immédiate de l’Assemblée nationale, la mise en place d’un organe législatif de Transition, le renouvèlement intégral des membres de la Cour constitutionnelle, la mise en place d’un gouvernement de Transition avec les caractéristiques ci-après : un Premier ministre désigné par le M5-RFP, qui ne peut être démis par le président de la République que dans les conditions prévues par la Charte de la Transition, il forme son gouvernement en entier, nomme aux hautes fonctions nationales, etc. Les alliés politiques du président Ibrahim Boubacar Keïta ont dénoncé « une action qui s’apparenterait à un pronunciamiento, une proposition antidémocratique, antirépublicaine et anticonstitutionnelle qui n’est, ni plus ni moins, qu’une tentative déguisée de coup d’Etat, des propositions qui s’apparentent davantage à un schéma de conquête du pouvoir par des voies non constitutionnelles…»
Face au rejet de ces propositions, le Mouvement de contestation a rompu le dialogue. Dos au mur, le chef de l’état va rencontrer l’imam Mahmoud Dicko qui était l’autorité morale des contestataires en vue de trouver une ultime solution à la crise. Mais la situation va dégénérer le 10 juillet 2020 lorsque le M5-RFP va entrer en désobéissance civile à l’issue d’un rassemblement populaire, le même jour, à la place de l’Indépendance.
L’Assemblée nationale, le Haut conseil des collectivités, l’Office de radio et télévision du Mali (ORTM) ont été saccagés, vandalisés, du matériel emporté et des voitures calcinées. Et toutes les routes de la capitale ont été coupées par des barricades, pendant plusieurs jours. Dans le sillage de ces évènements, certains leaders du Mouvement ont été interpellés notamment Issa Kaou N’Djim, président de la CMAS et Choguel Kokalla Maïga, président du comité stratégique du M5-RFP. Des échauffourées ont éclaté entre manifestants et forces de l’ordre les 10, 11 et 12 juillet 2020 entraînant des morts (côté manifestants) et plusieurs blessés (côté manifestants et forces de l’ordre).
Ni la diplomatie préventive de la CEDEAO, ni les concessions faites par le pouvoir, encore moins les bons offices des forces vives et des religieux n’ont suffi à calmer le M5-RFP qui a continué ses manifestations. C’est dans cette atmosphère délétère que, le 18 août 2020, l’Armée est intervenue pour pousser à la démission le président Ibrahim Boubacar Keïta. Les militaires, organisés au sein du Comité national pour le salut du peuple (CNSP), ont ainsi pris le pouvoir. Dans son discours de démission, l’ancien chef de l’Etat a annoncé qu’il quittait toutes ses fonctions et avec toutes les conséquences de droit : la dissolution de l’Assemblée nationale et celle du gouvernement.
Sa démission a été suivie quelques semaines après par des Assises nationales qui ont adopté une Feuille de route et une Charte de la Transition sur la base desquelles l’ensemble des organes ont été mis en place pour une durée de 18 mois. Le président Bah N’Daw et le vice-président le colonel Assimi Goïta ont prêté serment le 25 septembre 2020. Ensuite, il y a eu la nomination du Premier ministre Moctar Ouane qui a formé un gouvernement et la mise en place du Conseil national de Transition (CNT).
Après huit mois de mise en œuvre de la feuille de route, des évènements sociopolitiques ont conduit à la « rectification de la trajectoire » de la Transition après l’arrestation et la démission du président Bah N’Daw et du Premier ministre Moctar Ouane, le 24 mai 2021. Suite à la constatation de « la vacance » de la présidence de la Transition par la Cour constitutionnelle, le colonel Assimi Goïta a été investi le 7 juin dernier, comme président de la Transition. Il confiera ensuite le poste de Premier ministre à Dr Choguel Kokalla Maïga qui a mis en place son gouvernement le 11 juin 2021.
Le Premier ministre Maïga a présenté le Plan d’action du gouvernement (PAG) le 30 juillet dernier devant le CNT qui l’a adopté le 02 août à l’issue de plusieurs heures de débats. La question qui taraude les esprits aujourd’hui, est de savoir si les différentes actions prévues pourront être mises en œuvre pendant le temps restant de la Transition.
DD (AMAP)