Fahad Ag Almahmoud

Par Dieudonné DIAMA

Bamako, 21 mar (AMAP) L’État malien, à travers un arrêté en date du 8 mars dernier, par lequel le ministre de l’Économie et des Finances, Alousséni Sanou, a inscrit sur la liste nationale des sanctions financières ciblées, plusieurs responsables des mouvements armés et des groupes terroristes, notifie au reste du monde, surtout les pays susceptibles de les abriter, que ces acteurs sont des terroristes.

Ainsi, ils ne doivent plus pouvoir manipuler des flux financiers, ni bénéficier de mobilité notamment par les moyens aériens, terrestres ou même fluviaux

Le gouvernement du Mali accuse Iyad Ag Ghaly, Amadou Barry dit Amadoun Kouffa, Alghabass Ag Intalla, Bilal Ag Achérif, Fahad Ag Almahmoud et Achafagui Ag Bouhada, entre autres, « des actes de terrorisme pour leur appartenance à un groupe terroriste en lien intentionnel avec une entreprise terroriste, le financement du terrorisme, la détention illégale d’armes de guerre et de munitions en lien intentionnel avec une entreprise terroriste, l’atteinte à l’unité nationale, à l’intégrité du territoire ainsi que l’association de malfaiteurs. »

Les biens et ressources économiques de ces personnes sont gelés pour une période de six mois renouvelables.

Selon le Dr Aly Tounkara, expert des questions de paix, de défense et de sécurité au Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel (CE3S), cette inscription est importante à plus d’un titre. Elle va, non seulement, permettre à l’État malien de notifier au reste du monde et en particulier les pays qui sont susceptibles de les abriter, que ces acteurs sont des terroristes. Et, par ricochet, toutes les opérations financières de ces acteurs, que ce soit a travers des flux financier en provenance d’institutions comme les banques ou des envois par des voies peu orthodoxes, notamment le marché noir, sont interdits par l’État du Mali et, aussi, par les différentes conventions dont presque tous les États sont signataires dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent.

Amadou Barry dit Amadoun Kouffa

«C’est un signal fort aussi pour l’État du Mali, pour dire aux pays qui les abriteraient que, du moment où ils acceptent d’accueillir les terroristes, de facto, ils les soutiennent dans les crimes odieux et financement du terrorisme qu’ils commettent au Mali voire au-delà», analyse Dr Tounkara. Il a aussi dit que cette inscription « est un témoignage éloquent de l’État malien qui se conforme à l’esprit des conventions et même des droits relatifs au financement du terrorisme et à d’autres formes de criminalité. »

Le chercheur soutient que c’est également un message diplomatique qui est lancé à ces États susceptibles d’abriter Iyad Ag Ghaly, Amadoun Kouffa ou Bilal Ag Acherif. «Toutes ces personnes qui sont sur cette liste sont, dorénavant, qualifiées par l’État malien comme des acteurs qui ne sont pas du tout fréquentables par le Mali et ils ne doivent pas l’être également par les pays qui continuent à les abriter en dépit même des condamnations dont ils font l’objet de la part des Nations unies», indique l’expert du CE3S.

CONSÉQUENCES – Pour les acteurs concernés, Dr Tounkara fait savoir que d’office, ils ne peuvent plus procéder à des envois officiels de flux financiers. Également, ils ne peuvent plus bénéficier de mobilité que ce soit par les moyens aériens, terrestres ou même fluviaux parce que cette inscription ne s’est pas limitée à identifier les acteurs concernés. Elle a été jusqu’à communiquer les différents documents administratifs qu’ils détiennent au compte de l’État du Mali.

«Cette inscription va avoir comme conséquence sur ces acteurs, l’annulation d’office des différents documents administratifs qu’ils détiennent au nom de l’État du Mali, mais c’est aussi un message pour l’ensemble des polices frontalières, des acteurs en charge des questions de mobilité, des flux financiers de ne plus coopérer avec ces entrepreneurs de la violence car ils sont non seulement terroristes, mais dans le même temps, ils continuent à soutenir différentes entreprises criminelles qui sévissent au Mali et dans le Sahel de façon générale», détaille l’expert des questions de paix, de défense et de sécurité.

En termes de conséquences, Dr Tounkara pense, aussi, que c’est une limitation nette imposée ainsi à ces acteurs cités sur cette liste. Selon lui, du moment que les États s’engagent tous à lutter efficacement contre le terrorisme, ceux-ci sont censés respecter la décision « de façon scrupuleuse. »

Bilal Ag Achérif

Toutefois, le chercheur reconnait qu’il est difficile aujourd’hui pour certains pays frontaliers du Mali d’appliquer une telle décision à l’encontre des acteurs qui sont officiellement sur leur territoire et d’autres États qui sont soupçonnés d’abriter un certain nombre d’acteurs terroristes.

Pour lui, au-delà de l’aspect juridique, la décision est une façon pour l’État du Mali d’évaluer avec pertinence et efficacité, quels sont les États voisins qui seraient en phase et ceux en déphasage avec lui, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. « Cette décision va au-delà d’une simple liste affichée mais c’est un test qui va amener les autres États à agir aussi vis-à-vis du Mali. Toute non action de la part de ces États ciblés ou concernés qui continuent à abriter à la fois les terroristes et les ex-indépendantistes qui ont aussi succombé au charme du terrorisme feront d’eux de facto, des ennemis du Mali », ajoute Dr Tounkara.

Par ailleurs, Dr Aly Tounkara soutient que l’inscription sur la liste de ces acteurs qualifiés de terroristes par l’État du Mali n’exclut pas qu’au bout du tunnel, qu’ils soient impliqués directement ou indirectement dans l’offre de dialogue Direct inter-Maliens qui vient de démarrer. «Si l’on regarde avec une attention particulière les différents pourparlers à la suite du terrorisme que ce soit en Algérie, en Mauritanie ou en Afghanistan, beaucoup d’acteurs avaient été étiquetés terroristes, qualifiés d’infréquentables par les États concernés mais au nom de la concorde et de la paix, on a fini par faire entorse à certaines dispositions de la Constitution afin d’arriver à un espace substantiel de dialogue pour une paix durable et la cohésion sociale», rappelle Aly Tounkara.

Au-delà de cette inscription sur la liste des groupes terroristes, il a dit que les acteurs comme Iyad Ag Ghaly, Amadoun Kouffa et même certains acteurs anciennement de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) restent des éléments importants pour asseoir une paix durable.

Pour lui, il ne s’agit pas de gommer tous les crimes commis par ceux-ci ou de minorer leurs forfaits dans le dossier. Mais, au nom de la realpolitik et du pragmatisme, « il est important de ne pas écarter l’hypothèse de voir ces mêmes acteurs se retrouver au cœur du processus pour une paix durable et la stabilité » tant souhaitées par nos communautés.

DD/MD (AMAP)