Après une journée de travail, consciencieusement accomplie, elles sont nombreuses à se sur-multiplier pour se mettre au service des jeûneurs. Comment y parviennent-elles ?

Par Fadi CISSÉ

Bamako, 21 mar (AMAP) Il est 15 heures. Sous le soleil ardent de ce mois de Ramadan, Amina, une secrétaire de direction, ne songe même pas à profiter une minute de plus de son bureau climatisé. Trop d’obligations à gérer à la maison. Elle plie bagage et enfourche son engin à deux-roues pour se rendre au marché. L’esprit un peu confus, la nouvelle mariée n’est pas encore fixée sur ce qu’elle va acheter au marché pour le dîner à offrir à sa belle-famille.

« Je pense que des pâtes seraient plus rapides à préparer. Ou bien as-tu d’autres suggestions, maman ? », demande-t-elle au téléphone à sa mère avant de quitter son lieu de travail.

Comme Amina, pour de nombreuses femmes actives dans les secteurs public et privé, jongler entre les tâches ménagères et les impératifs professionnels est un défi de taille en cette période. Heureusement, elles savent se montrer débrouillardes pour trouver des solutions ingénieuses.

Après une journée de travail consciencieusement accomplie et grâce aux conseils de sa mère, notre secrétaire de direction trouve ainsi le plat tout indiqué à servir au dîner : du fonio précuit accompagné d’une sauce rouge à la viande. Une recette savoureuse et facile à cuisiner, résume-telle. « Je fais mes achats au marché et prépare mes ingrédients avant de rentrer chez moi. Une fois à la maison, je gagne du temps en déléguant certaines tâches », explique-t-elle, en révélant avoir recruté une aide-ménagère pour que le repas soit servi à temps pour la rupture du jeûne.

« Avant mon arrivée, celle-ci prépare le quinquéliba, la bouillie et dresse la table. Une fois sur place, je prends le relais pour m’occuper des tâches restantes tels que la préparation du jus et les autres mets », confie-t-elle.

Le programme est, évidemment, beaucoup plus chargé pour les femmes qui doivent préparer les repas de rupture du jeûne à la fois pour le service et le domicile. Habibatou Mariko, employé de bureau, vit cette réalité depuis plus de dix ans. Elle s’en sort grâce à son expérience. « Il m’arrive de quitter le bureau à 16 heures. Quand les embouteillages deviennent insupportables, je gare ma voiture dans un lieu sûr et prends une moto taxi pour rentrer un peu plus tôt à la maison. Je n’ai jamais engagé d’aide-ménagère. Je prépare ma bouillie et ma tisane la veille au soir, que je mets ensuite au frigo. Une fois rentrée, je les réchauffe et les mets sur la table avant la rupture », dit-elle .

« C’est après que je me concentre sur le dîner. Pour cela, je demande à ma belle-sœur d’acheter les condiments pour gagner du temps lorsque je rentre», dit-elle, sans s’émouvoir outre mesure. Pour elle, en effet, réaliser toutes ces tâches difficiles en ce mois béni est un acte d’amour envers Dieu et les jeûneurs.

ELLES-MÊMES À JEUN– Stagiaire dans une structure publique, Kourouni Diarra jongle, elle aussi, avec les mêmes contraintes. Depuis 7 heures du matin au petit soir, cette jeune femme d’une vingtaine d’années consacre son temps à ses activités professionnelles à Ouolofobougou, en Commune III de Bamako. Mais depuis le début du Ramadan, elle a changé son emploi du temps. Elle rentre désormais chez elle à Yirimadio, en Commune VI, à 15 heures pour avoir le temps de s’occuper de ses fourneaux.

Kourouni a une particularité : elle est l’unique fille de ses parents et a, par conséquent, la responsabilité des activités ménagères. « Les jours où je prends un peu de retard, je me fais aider par ma maman et la servante. Parfois, certains de mes frères m’épaulent pour aller plus vite même si cela me gêne », confie celle qui veut tout faire seule afin de soulager sa maman de cette corvée.

De nombreuses femmes qui, se surmultiplient en cette période pour se mettre au service des jeûneurs, sont elles-mêmes à jeun. Mais pas toutes. Alima, par exemple, est l’une des trois belles-filles de la famille. Elle arrête de jeûner chaque fois que c’est son tour de faire la cuisine. « Je ne peux pas aller au travail et ensuite venir faire la cuisine car on s’épuise rapidement sous ce soleil. Donc, pour mener à bien toutes mes tâches, je ne jeûne pas », indique cette mère de trois garçons.

Cette justification fait tiquer Abdoulaye Maïga, professeur de matières religieuses au lycée Madina. « La femme, souligne-t-il, ne peut pas abandonner son jeûne à cause de ses tâches ménagères, tout comme l’homme pour des motifs similaires. Le jeûne est une obligation pour tout musulman adulte. »

En récitant un passage de versets coraniques, l’érudit explique que Dieu a dit qu’il a créé les hommes et les djinns pour l’adorer. Il cite néanmoins quelques raisons susceptibles d’empêcher un musulman de jeûner, notamment la maladie, le voyage, la période menstruelle de la femme. L’encadreur au Centre islamique de formation et de documentation (CIFOD) indique que le jeûne est une priorité pour le musulman et ne peut être supplanté par le travail quotidien. À ce sujet, il propose aux femmes qui travaillent de prendre un congé pour le mois de Ramadan.

Assan et son époux n’envisagent pas cette éventualité tout simplement car ils n’ont aucun problème pendant ce mois béni. Cela fait bientôt quatre années qu’ils sont mariés et vivent ensemble avec leur bébé de six mois. Tous les deux travaillent et finissent à la même heure dans leurs différentes entreprises. En l’absence de leurs beaux-parents à la maison, ils parviennent à vivre en parfait accord. Ainsi, celui qui rentre à la maison le premier s’occupe des tâches ménagères avant l’arrivée de l’autre. «Mon mari nettoie la maison, il dresse la table et fait les petites tâches avant mon arrivée pour la rupture. Après la rupture, je me charge du dîner pas compliqué tandis qu’il s’occupe de l’enfant», détaille notre interlocutrice.

FC/MD (AMAP)

Coulibaly Gogo Bathily : Plus qu’une secrétaire de direction

Elle fait face à tous les travaux à la maison comme au bureau, toujours avec le même courage tranquille et le sourire accueillant. Elle, c’est Mme Coulibaly Gogo Bathily. Durant le mois de Ramadan, cette secrétaire de direction à l’Agence malienne de presse et de publicité (AMAP) enchaine les journées particulièrement longues caractérisées par des charges autant physiques qu’intellectuelles.

Avec plus de vingt ans de vie professionnelle à son actif, celle que les travailleurs de l’agence appellent affectueusement «tante Gogo» est toujours parvenue à répondre avec une immuable amabilité aux sollicitations de tout le monde, du cadre au simple agent et au visiteur.

En ce mois béni, elle est au bureau au plus tard à 7h30 minutes. Cette quadragénaire mince et au teint d’ébène, fait preuve d’une inaltérable courtoisie au travail et ne tarit pas de «douas» à l’endroit de ses collègues et des visiteurs. Son quotidien au bureau est classique : elle gère l’accueil et les rendez-vous de la direction générale, réceptionne et trie l’important courrier, fait face aux multiples demandes suscitées par les nombreuses activités de l’Amap.

Pendant le Ramadan, ses tâches augmentent car Mme Coulibaly Gogo Bathily a la responsabilité des plats destinés à la rupture du jeûne de la rédaction composée de journalistes, photographes, monteurs et imprimeurs qui travaillent très tard au «bouclage» du quotidien L’Essor. Prise en fin de journée par les documents à classer dans l’épais parapheur à l’intention du directeur, elle suit pourtant d’un œil attentif le quinqueliba qui infuse dans une marmite. Quand l’infusion est prête, elle la filtre à l’aide d’un tamis et la verse dans une thermos qui prend place sur un plateau avec des bols. Elle peut alors achever son travail de bureau.

Mais sa journée n’est pas finie pour autant. En chemin pour la maison, Tante Gogo téléphone à son aide-ménagère pour qu’elle allume le feu sous les marmites de quinqueliba et de bouillie. En cours de route, elle achète quelques condiments qui manquent. Une fois à destination, la maitresse de maison sait qu’elle n’a pas une minute à perdre et, sans se changer, investit la cuisine et enchaine sur tout ce qui est à préparer et cuire avant la rupture du jeûne.

Vers 21 heures, le marathon des tâches professionnelles et ménagères est accompli. La secrétaire de direction et la maitresse de maison peuvent alors passer le relais à la mère attentive à la scolarité de son garçon qui s’apprête à passer son baccalauréat dans quelques mois.

Au terme d’une telle journée, nul ne pourra contester à la battante la légitimité d’inviter la nouvelle génération à travailler dur et avec amour.

FC/MD (AMAP)