Par Bréhima Touré
L’emballement du cours de l’Histoire en Afghanistan suscite des questionnements quant à son impact sur notre pays. Logique. Car le virus de l’islamisme violent a été inoculé à beaucoup de nos compatriotes par les «Afghans» algériens, de retour des confins pakistano-afghans où ils avaient fait leurs armes, avec la bénédiction des puissances occidentales et le financement des riches émirats du Golfe, au nom de la lutte contre les Soviétiques en Afghanistan.
Ces anciens moudjahidines, endoctrinés par la vision expansionniste de l’islam même au prix du sang, ont échoué à imposer la version rigoriste de la religion musulmane en Algérie. Le petit groupe ayant échappé à la guerre sanglante qui l’a opposé à l’armée algérienne, a migré sur nos terres et a fini par créer Al Qaeda au Maghreb islamique.
Le syndrome afghan de l’islam combattant a ainsi pris pied sur notre territoire. Voilà pourquoi nos guerroyeurs islamistes s’inspirent des Afghans dans les techniques de guérilla et même dans l’accoutrement.
Les Talibans ont fait la preuve qu’ils sont de redoutables combattants et même de fins stratèges militaires. Ils méritent amplement d’arborer la tunique du libérateur contre la présence militaire étrangère sur leur sol. Mais l’Histoire de l’humanité est jalonnée d’épisodes enseignant que les grands libérateurs ne sont pas forcément de grands bâtisseurs d’État. Les triomphateurs des luttes de «libération» se révèlent très souvent être de piètres constructeurs et gestionnaires d’un système étatique.
Prenons l’exemple sur nos groupes extrémistes. Ils ferment des écoles, détruisent les infrastructures de communication, exigent que les femmes se couvrent de pied en cape, interdisent la musique, le football… Si cette batterie d’interdits semble efficace pour affaiblir un système existant, elle n’est pas suffisante pour une alternative crédible. Leur discours surfe sur les tares -réelles- de la gouvernance.
L’État est perçu par la plupart des populations, du fait des agissements de certains agents, comme une puissance de répression et même de prédation. Rarement comme un acteur tutélaire capable de fournir efficacement les services sociaux de base, d’assurer la sécurité, de réparer les injustices. L’outil de défense souffre beaucoup des appétits gloutons pour les ressources financières colossales qu’il mobilise.
Le tableau est davantage assombri par le comportement de l’élite qui, toute à sa lutte pour le pouvoir, renvoie l’image de personnages peu soucieux du sort de la majorité en proie aux affres de l’insécurité.
Mais le variant 2021 du syndrome afghan de l’islam combattant pourra-t-il contaminer notre pays ? Il a pris le pouvoir à Kaboul.
Que va-t-il en faire ? Le départ des troupes étrangères risque d’ouvrir un nouvel épisode de violences entre les Talibans et leurs rivaux de l’État islamique. Les premiers ont proclamé un Émirat islamique. Les seconds ont la même ambition, avec en prime une vision universaliste. Tous les deux ne connaissent que les équipées sanglantes comme méthode de conquête du pouvoir.
Il est vrai que les Talibans tentent de se donner une image policée, aux antipodes des comportements brutaux qui leur ont valu la réprobation de l’humanité tout entière à la fin des années 90. Mais, pour venir à bout de l’État islamique, composés essentiellement de combattants encore plus radicaux issus de leurs rangs, ils devront livrer une bataille différente de celle qu’ils ont gagnée contre la présence américaine.
Après avoir écrit avec succès leur légende de guerriers, les Talibans devront se forger maintenant une autre dans la gestion de l’État. Assurer la sécurité, fournir les services sociaux de base, rétablir le fonctionnement de l’administration… tout cela coûte beaucoup d’argent. Rien à voir avec les réseaux clandestins de financement d’une insurrection armée. Il est peu probable que les Occidentaux leur ouvrent des portes vers des financements. Mais ils pourraient compter sur la courte échelle que leurs amis riches du Golfe et les Chinois ne manqueront pas de leur tendre.
La contagion de notre pays par le modèle taliban nouvelle version dépendra en effet de deux facteurs. Premièrement : le modèle de société que les Talibans vont réussir à installer en Afghanistan, en conciliant les aspirations à plus de liberté et l’application rigoriste des préceptes de l’islam. Il y a aussi leur capacité à mettre en place une économie capable d’assurer le bien-être de la majorité de leurs compatriotes.
Deuxièmement : quelle sera la réaction des Occidentaux après le traumatisme de la victoire éclatante des Talibans ? La probabilité est faible de les voir accepter de subir à nouveau un tel désastre. En tournant le dos au gouvernement afghan, ils ont provoqué une situation hautement préjudiciable à leur image. L’État malien pourrait profiter de la crainte du remake des rapatriements en catastrophe.
À condition que nous soyons capables de jouer le rôle qui nous est dévolu, c’est-à-dire tenir la tête du lion que les autres veulent nous aider à abattre.
B. TOURÉ