Indépendance, travail, sincérité, honnêteté et droiture sont, entre autres, des vertus de cette confrérie. . 

Par Mariam F. DIABATE 

Sikasso, 26 janv (AMAP) Les bouffons ou «Korèdugaw», en langue bamanakan répondent à d’autres noms dans d’autres localités du Mali, notamment  dans le Cercle de Sikasso (Sud) où les Senoufo leur collent les appellations «mpwugni» ou «mpwubi». Dans le Cercle de Kadiolo, les «Shènnabele» (Senoufo) les affublent du sobriquet de «mpuwi» et «mpuubii» tandis que les Minianka leur collent aussi le nom «xodubalaa».

Le korèdugaw représente une personne qui a le sens du burlesque, du rire, voire de la dérision. C’est aussi un être qui s’exprime ou passe des messages par des grimaces, des codes de résignation et une forme de sagesse.

Les spécialistes définissent le korèdugaya comme une confrérie initiatique du patrimoine culturel du Mali. L’origine de la confrérie date de la nuit des temps. On les rencontre dans les milieux bambara, malinké, senoufo, minianka et samogo. Tout comme les confréries des chasseurs, des prêtres, des divinités du monde bambara, chaque communauté à ses propres korèdugaw.

Les korèdugaw sont affublés de plusieurs noms en fonction des localités de la cité du Kénédougou

Le korèdugaya tirerait son nom de «korè» (l’une des six divinités du monde bambara qui joue un rôle rituel et public) et de «duga» qui signifie vautour en français. En milieu senoufo, il officie comme maître de cérémonie, amuseur du public et interface entre les groupes d’âge. Grossomodo, le korèduga, c’est cet être humain qui a la particularité de s’habiller bizarrement. Il porte des haillons, des colliers, des pantalons dont l’un des pans est plus souvent long que l’autre.

A Sikasso, ces personnages atypiques sont toujours présents dans les rencontres culturelles. Ils se caractérisent par leur gestuelle mais, aussi, leurs chants, danses, accoutrements, parures, langages verbaux et non-verbaux. Mais, surtout, cette façon ubuesque de faire des bénédictions, annonçant une chose à travers son contraire. C’est un code propre aux korèdugaw. Certains, sans prendre de gants, déclarent que les korèdugaw n’ont pas de pudeur (autrement sans scrupule). C’est une perception erronée de cette couche sociale. Parce ces manières, ils révèlent la beauté et la qualité du korèdugaya.

Feu Tiémoko André Sanogo, qui a été rappelé à Dieu, en octobre 2021, était le président de l’Association des korèdugaw de la Région de Sikasso. Dans une publication intitulée : ‘’Les korèdugaw en milieu Senoufo’’, il évoquait l’initiation à la confrérie des korèdugaw ou « tuer quelqu’un à la confrérie », selon l’expression consacrée par la confrérie.

D’autres confréries comme celles des chasseurs, géomanciens et sorciers ont une appellation à l’initiation. L’initiation se fait tous les 3 ou 7 ans, selon les aires culturelles. Les initiés suivent toujours un cursus de formation. Les étapes de la formation commencent de 0 à 7 ans jusqu’à 42 à 63 ans. Au-delà de 63 ans, le korèdugaw se résigne à limiter ses déplacements et apparitions publiques. Il se contente du peu qu’on lui donne et s’interdit de quémander. « C’est à 63 ans que le korèduga devient un (duga mansa) signifiant roi des vautours ou un (duga koro) vieux vautour », expliquait l’ancien chef de l’Association des korèdugaw. Et d’ajouter que c’est en cette période que le «duga koro» entre dans l’univers du mysticisme visionnaire.

Des femmes Korèdugaw en démonstration lors d’une cérémonie

Par ailleurs, les interdits des korèdugaw, selon Tiémoko André Sanogo sont notamment ne jamais allumer le feu de la discorde, du malentendu ou de la guerre mais, surtout, être ouvert aux autres et recevoir le pêcheur comme le bienfaiteur avec la même courtoisie et ne jamais toucher ce qui ne lui appartient pas ou ne lui a pas été donné.

Sur un tout autre registre, le défunt affirmait que leur confrérie est sollicitée par les couples stériles pour réaliser leur aspiration à la parenté. Le couple prête serment et, une fois, le vœu exaucé, juste après le baptême, l’enfant est amené à la confrérie. Cette dernière lui donnera un prénom korèdugaw comme «malokini» (plat de riz), «tobogo» (boue de to), «dèguè» (brouet ), «galama»  (louche), «gnama» (ordures), «duga» (vautour), «tchètèmalo» (l’homme qui  n’a pas froid aux yeux). En outre, les chants évoqués par les korèdugaw sont relatifs à l’éducation, la religion, la politique, etc.

De son côté, le chercheur au Centre de recherche pour la sauvegarde et la promotion de la culture senoufo de Sikasso, Abbé Edouard Coulibaly, fait beaucoup d’investigations dans les villages senoufo, surtout sur le korèdugaya.

Le Senoufo et l’originaire de Kadiolo dresse le tableau de la vie des korèdugaw du Folona (Kadiolo). Selon lui, les korèdugaw de Sikasso sont différents de ceux de Kadiolo. Le symbole du korèdugaya est représenté par la sculpture d’un oiseau appelé « calao ». Son bec fermé appelle les initiés à ne pas dévoiler ce qu’ils ont appris lors de l’initiation ; le long bec de la sculpture qui se traine sur le ventre signifie que le vrai korèdugaw se nourrit par lui-même (indépendance) ; ses ailles déployés l’encouragent à bondir sur le travail; la position droite de la sculpture appelle les bouffons à ne pas mentir, à ne pas toucher à la femme d’autrui et à ne pas voler. Qui n’apprécie pas ces valeurs ?

MFD/MD (AMAP)

 

Encadré : Apparats de korèduga

En général, les bouffons sont reconnus par leurs habillements qui sortent de l’ordinaire. On les rencontre, très souvent, avec des becs d’oiseaux sur les chapeaux, des haillons, des sacs, des colliers ou chapelets, des chevaux, des caméras, des masques, des éventails … à ce niveau, le chercheur du Centre de recherche pour la sauvegarde et la promotion de la culture senoufo de Sikasso, Abbé Edouard Coulibaly, précise que le bec de l’oiseau «calao» que les bouffons de Kadiolo portent sur leur chapeau signifie l’entente, le porte bonheur, la procréation… ; les haillons sont des habits tout terrain (on s’assoie par terre et on fait tout avec); les sacs contiennent des objets dont l’antidote contre les poisons ; les flûtes sont leurs instruments de musique. Ils égrainent les colliers pour apaiser les malentendus, les tensions ; leurs chevaux sont symboliques, c’est pourquoi, les cavaliers ne sont pas choisis par hasard; c’est grâce aux éventails que les korèdugaw se nourrissent. C’est en ventant les repas des gens que ces derniers leur offrent de la nourriture …

Sur un tout autre registre, l’Abbé Edouard Coulibaly soutient que les korèdugaw mangent des mixtures pour montrer qu’ils ne font pas de distinction entre les gens et les plats. « Chez les Senoufo, les bouffons tiennent énormément à leur fétiche ‘’Kafala’’. « Ce fétiche tient ses promesses. C’est pourquoi, ils ne voyagent jamais sans lui … », conclut-il.

MFD/MD (AMAP)