Les travailleurs ont intenté un procès contre la direction générale de l’entreprise. Crédit photo AMAP

Par Mamadou SY

Amap-Ségou

Ségou 30 Oct (Oct) Sans rémunération depuis le 3 août, date de la fermeture de l’usine, les 1.300 travailleurs de la Compagnie malienne des textiles (COMATEX), traversent des moments difficiles. La fermeture de cette usine, inaugurée en 1968 et qui constitue le poumon économique de la Région de Ségou, a brutalement plongé dans le désarroi des milliers de salariés. Pour justifier la fermeture de l’usine, la direction invoque des difficultés financières et le non renouvellement de la subvention et des contrats de performance.

À la suite de plusieurs négociations sans suite, le comité syndical de l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM) de la société, profondément préoccupé par la situation, a décidé de saisir le Tribunal de grande instance de Ségou. Le délibéré de ce procès intenté par les travailleurs sera vidé mercredi prochain. Le syndicat estime que la direction a envoyé les travailleurs au chômage technique, sans tenir compte des normes du Code du travail. Depuis plusieurs semaines, les machines, qui résonnaient dans l’usine, sont totalement réduites au silence et les mauvaises herbes ont poussé dans la cour de la société, attirant des reptiles.

Drapé dans un grand boubou, le visage mangé par une barbe de plusieurs jours et un foulard noué, délicatement, autour du cou, Mody Kéita, travailleur à la section filature de l’usine a, à son actif, 26 ans d’expérience. Selon lui, cela fait des années que la direction de la COMATEX tente, par tous les moyens, de fermer l’usine, afin de procéder à des licenciements. Il ajoute que, fort heureusement, cette idée n’a pas pu aboutir parce que le tandem syndicat-travailleurs veillait au grain.

Avec cette mise en chômage, les milliers de travailleurs de l’usine peinent à joindre les deux bouts. Beaucoup se sont retrouvés sans ressources, du jour au lendemain. «Nous n’avons aucun sou pour subvenir à nos besoins. Nos réserves de vivres sont épuisées, notamment le mil, le riz. Nous n’avons rien à se mettre sous la dent», s’inquiète Mody Keita. «Nous sommes obligés de quémander auprès de nos familles et ceux qui sont en mesure de nous aider. Certains travaillent en tant que fabricant de briques, d’autres comme maçons, puisatiers, vidangeurs, afin de tenir la baraque », ajoute-t-il, fataliste. Marié et père de 4 enfants, Oumar H. Dembélé travaille à l’usine comme chauffeur depuis 1994.

Il gagne moins de 100.000 Fcfa par mois et estime que la fermeture de la société ne fait que plonger les travailleurs dans la précarité et raviver un foyer d’anxiété. « Les Chinois ne peuvent plus, qu’ils laissent la direction de l’usine à d’autres partenaires ! » C’est la phrase que l’on entend, de plus en plus, chez les ouvriers écœurés par la mauvaise gestion. Mais, il serait injuste de jeter la pierre aux dirigeants de l’entreprise.

Oumar H. Dembélé déplore également la passivité du gouvernement qui les a abandonnés à leur triste sort. Cet employé de l’usine raconte que dans leur détresse, les travailleurs de la COMATEX n’ont obtenu aucune aide, ni bénéficier des mesures sociales annoncées par l’ancien chef de l’État.
S’agissant des informations qui ont circulé sur un éventuel cas de Covid-19 à la COMATEX, Adama Traoré, le délégué du personnel, dit qu’il n’en est rien.

En effet, l’agent de sécurité et de gardiennage soupçonné d’être malade de coronavirus, a été testé négatif et Adama Traoré voit, à travers cette affaire, un moyen pour la direction de licencier les travailleurs.

Bintou Fatoumata, une employée de l’usine indique que la COMATEX permet à de nombreuses familles de faire face aux charges qui pèsent sur leurs épaules. Elle nourrit le vœu de voir les 1.300 travailleurs reprendre le chemin de l’usine, tout comme Zakaria Coulibaly, un autre employé qui se souvient des années fastes de la COMATEX.

«Avant que l’entreprise ne soit privatisée, on produisait des tissus koba, des basins, des tenues militaires… Depuis qu’elle a changé de statut pour devenir une société anonyme (SA), nous ne produisons que des fils à tisser et tissus en pagne », regrette-t-il. Notre interlocuteur évoque les cars de l’entreprise reconnaissables par leur couleur rouge et qui assuraient le transport des ouvriers matin, midi et soir.

Ces cars auraient disparu en 2017 du parc auto où il n’y a plus qu’un camion pour le transport des ouvriers. Pour Zakaria Coulibaly, la mauvaise gestion et le non-respect des lois du travail expliquent la situation plus que jamais déplorable dans laquelle se trouve l’entreprise.

Abdoulaye Diakité, le secrétaire général du comité syndical de l’UNT martèle, sans ambage,s que la direction a illégalement mis les travailleurs de l’usine en chômage technique au motif que l’entreprise traverse une crise financière.

Il affirme que la direction s’est basée sur l’article 35 du nouveau code du travail qui stipule que « lorsque, pour des raisons d’ordre économique, commandées par des nécessités de l’entreprise ou résultant d’événements imprévisibles présentant le caractère de force majeure, l’employeur décide de mettre en chômage temporaire tout ou partie de son personnel, l’inspecteur du travail doit, au préalable, en être informé ».

Selon Abdoulaye Diakité, en temps normal, les travailleurs de la COMATEX partent en congé annuel à partir du mois d’août. Cette fois, à cause du cas suspect de coronavirus, les congés ont débuté le 1er juin pour finir le 30 juin. « A la fin de ce mois, la direction a affiché une seconde notification de suspension de travail. Ensuite, elle a publié un autre avis concernant la mise en chômage technique des travailleurs à partir du 3 août », a-t-il expliqué.

Abdoulaye Diakité a soutenu que ni les textes, ni le code du travail n’ont été respectés. Et d’ajouter que la direction s’est contentée juste de placarder une affiche à la porte pour annoncer la fermeture de l’entreprise, sans en informer, préalablement, le comité syndical.

De sa privatisation en 1994 à aujourd’hui, la COMATEX bénéficie d’une subvention, en plus des contrats de performance, mise en place en 2009 par l’ex-président Amadou Toumani Touré, une mesure incitative qui vise à soutenir les entreprises industrielles. Ayant pris fin au mois de mai, les deux contrats n’ont pas pu être renouvelés comme d’habitude. Ce qui a provoqué l’ire des actionnaires chinois qui exigent leur renouvellement, parce que la société est endettée à hauteur de 6 milliards de Fcfa. Le syndicat de l’entreprise dit que cette fois, l’État a été très demandeur et qu’il est grand temps de faire l’audit de la société.

« La direction refuse de le faire, l’État ne peut pas continuer à subventionner une entreprise, alors que cette dernière est toujours confrontée aux difficultés», explique Abdoulaye Diakité. Selon le leader syndical, l’argument selon lequel la société traverse une crise économique ne tient pas la route parce que « les tissus confectionnés par la COMATEX marchent très bien et sont vendus en avance ».

Aujourd’hui, le syndicat réclame des dommages et intérêts de 605.400 000 Fcfa, un montant qui correspond à six mois de salaire, le rappel des qautre mois de dotation en carburant et la prime trimestrielle.

Le secrétaire général de l’UNTM demande, également, que la gestion de l’usine soit confiée à autre partenaire ayant une forte expérience dans l’industrie textile. C’est à ce prix que l’entreprise sera sur de bons rails. En attendant, la galère continue pour les travailleurs qui exigent, avant tout, la réouverture de l’usine.

MS/MD (AMAP)