La mauvaise conduite de certaines veuves, les contraintes économiques et la mésentente entre les frères tendent à faire disparaître la pratique séculaire du lévirat

Par Mohamed D. DIAWARA

Bamako, 09 fév (AMAP) Après le décès de son époux, la femme surtout celle qui a des enfants doit surmonter des difficultés pour se mettre de nouveau en couple. Le mariage par héritage ou lévirat qui consiste à épouser l’un des frères du défunt mari contribue à aplanir ces difficultés. Mais, la pratique est en perte de vitesse dans les familles à Bamako.

Drissa, un trentenaire, a perdu son cousin germain, il y a environ trois ans. Ses frères et lui refusent d’épouser la veuve du défunt, sous prétexte que celle-ci est une personne peu sociable. « Elle avait peu de considération à notre égard quand nous étions des étudiants. Ce qui fait qu’elle ne bénéficie pas d’estime ou de sympathie de notre part », justifie l’enseignant qui soutient que la bonne conduite de la femme peut lui permettre d’épouser un frère de son défunt époux.

Selon le pédagogue, les contraintes économiques dissuadent également les volontaires de pratiquer le mariage par héritage. Aussi, la pratique a tendance à perdre de a valeur réelle du fait que nous avons quitté la grande famille pour la famille nucléaire. « Si le défunt est nanti, la veuve dans le dessein de s’accaparer des biens du mari, refuse d’épouser un frère du défunt. Généralement, ce sont des actes qui se produisent et finissent dans les tribunaux », regrette-t-il.

« Pour un défunt qui ne laisse pas derrière lui des richesses, la cohabitation sera difficile, explique Oumar, indiquant que la veuve sera obligée de chercher un époux ailleurs. « Dans ces foyers, précise-t-il, les enfants du défunt peuvent ne pas bénéficier de toute l’attention ou de l’affection dont ils sont en droit d’attendre du fait de leur statut d’orphelins. Notre interlocuteur souligne que l’absence de sociabilité, d’amour entre les frères sont des obstacles à la perpétuation de cette coutume.

Il y a moins d’une année qu’Oumar a épousé la veuve de son cousin, maçon de profession. La femme vivait en location avec ses trois enfants. Il explique que ce type de mariage est une bonne chose si la veuve et le frère du défunt acceptent volontairement leur union. Il argumente que les enfants seront à l’abri de beaucoup de problèmes. Et de poursuivre que cette union consolide la famille et garde l’arbre généalogique intact.

Selon Aminata Tamina dont la fille a perdu son mari, le mariage dans la famille du conjoint décédé présente des avantages pour les enfants du couple. La sexagénaire indique que la mésentente entre les frères peut inciter une femme à quitter la famille de son défunt mari.

Dans le cas où la veuve épouse un autre homme qui n’a pas d’affection pour les orphelins, ces derniers peuvent en être très affectés. « Leur mère, dit-elle, peut divorcer à cause de la mésentente avec son nouvel époux. »

La présidente de l’Initiative d’aide et de soutien aux veuves et aux orphélins (IASVO), Massitan Traoré, affirme que le lévirat peut être dangereux pour la santé du futur époux si le défunt était mort d’une maladie sexuellement contagieuse. Cependant, Mme Traoré indique que la pratique permet à la veuve de rester dans la famille de son défunt époux pour élever tous ses enfants.

Le chercheur en tradition orale mandingue, Nouhoum Cissé, explique que notre tradition veut que le clan se réunisse après la viduité de la veuve ou «filiya» en langue nationale bamanankan pour savoir si elle souhaite épouser l’un des frères de son défunt mari. Il explique que la tradition n’impose pas à la veuve de nouer cette relation.

Des membres de l’Initiative d’aide et de soutien aux veuves et aux orphelins (lASVO)

Le traditionnaliste précise que certaines femmes peuvent accepter parce qu’elles veulent que leurs enfants restent dans la famille de leur père. « Cette décision, dit-il, renforce le lien familial. Selon lui, la possibilité pour la veuve d’épouser son beau-frère est une pratique que notre coutume encourage à travers plusieurs initiatives visant à promouvoir la bonne relation entre la femme et le beau-frère.

PERTE DE LA COHÉSION – Nouhoum Cissé cite l’exemple de la présence de certains aliments préférés de la nouvelle mariée «nèguèlan» comme l’arachide dans le trousseau de la femme. Il affirme que cet aliment est destiné à ses beaux-frères «nimôgôni».

Le chercheur fait savoir que le geste vise à informer la belle-famille sur l’aliment préféré de leur mariée et les dispositions à prendre par les cadets du marié pour satisfaire cette envie de la nouvelle venue. «Quand elle est dans le besoin ou a des confidences à faire, elle informe le frère cadet qui le transmet à son époux», relève-t-il, avant d’assurer que le mariage ne se fait pas au seul avantage du marié.

Le chercheur en tradition orale mandingue regrette que l’individualisme entrave la vie en communauté prônée par nos ancêtres. Il poursuit que les membres d’une famille partagent de moins en moins les repas ensemble. « Ce n’est plus facile, soutient-il, d’épouser la femme d’un frère défunt.

Le chercheur dénonce une déperdition de l’affection et de la cohésion au sein des familles. Il pense que la femme doit veiller à l’instauration de ces valeurs dans la famille. Selon lui, la télévision, la radio, la démocratie, l’islam, le christianisme et la culture occidentale ont apporté d’autres valeurs éducatives différentes de celles de nos ancêtres.

Abdallah Diallo, imam d’une mosquée à Kalaban Coura, en Commune V du District de Bamako, explique que l’islam accepte que la veuve épouse le cadet ou l’aîné de son défunt époux. Selon lui, la pratique est avantageuse.

Le religieux soutient que la femme aura le cœur apaisé parce qu’elle est déjà dans la famille. Selon lui, ses enfants auront la chance de grandir chez leur père. « Si elle doit se remarier ailleurs, elle risque d’être séparée de ses enfants et d’être victime de préjugés offensants », explique l’imam Diallo, avant d’ajouter que la femme sera à l’abri de l’adultère.

Par ailleurs, Abdallah Diallo fait savoir qu’après le décès de son conjoint, la femme doit observer la viduité d’une durée de quatre mois et dix jours. L’objectif est de s’assurer qu’elle n’est pas enceinte de son défunt époux. « C’est pour éviter, explique-t-il, que le sang de cet enfant et celui d’un autre homme ne se mélangent. » « S’il s’avère que la femme est enceinte, a-t-il dit, la viduité prendra fin après l’accouchement.

Le prêtre catholique du Diocèse de San, l’Abbé Kalifa Albert Déna, précise que selon l’église catholique, la veuve peut se remarier au-delà de six mois de deuil. « Ce mariage, souligne-t-il, peut se faire mais pas forcément avec un parent de son défunt époux. « Elle se marie soit avec un veuf ou un autre qui ne s’est pas encore marié. Si le parent de son défunt époux n’a pas de femme, elle peut l’épouser », explique l’Abbé Kalifa Albert Déna.

Et d’ajouter que si la veuve veut respecter les normes ecclésiastiques, elle se marie avec qui elle veut. « Mais, insiste-t-il, à la condition est que cet homme ne soit déjà marié. » Dans le cas contraire, elle peut aussi décider de rester seule.

MDD/MD (AMAP)