Par Baya TRAORÉ
Bamako, 25 juin (AMAP) Ousmane Diarra et Assitan Kéita sont mariés depuis plus de 10 ans. Le couple a accepté de nous parler, l’un en présence de l’autre, dans une scène digne de joutes verbales, du vieux sujet de controverse du prix de condiments,
Au sein des couples, ce montant fixé, conventionnellement, à charge pour le mari de remettre à son épouse, tous les matins ou tous les mois, est parfois, un thème de plaisanterie entre époux ou, souvent, carrément, de dispute entre eux.
« Assitan, chaque fois que tu prépares, je te remets 2.000 Fcfa. Tu ne complètes pas le prix de condiments. Tu utilises une partie de cet argent à d’autres fins», dit le mari à son épouse. Alerte, la femme répond aussitôt à l’accusation, soutenant qu’avec 2.000 Fcfa, elle achète un demi kilogramme de viande à 1.500 Fcfa et le bois à 500 Fcfa. Ainsi, le tour du montant est fait. «Après, je complète pour acheter de la pâte d’arachide à 700 Fcfa, des légumes et autres condiments à 400 Fcfa», réplique Assitan Kéita, en enfonçant le clou. En réponse à son époux qui soutient revenir à la maison, parfois, avec des légumes ou de la viande, la dame rétorque : «Tu peux rester six mois sans apporter de condiments. Donc, acceptes que je complète ton prix de condiments ».
Après, en discutant avec nous, Assitan Keita admet que tous les deux doivent faire quelques sacrifices pour contribuer cette charge récurrente de la famille qu’est le prix de condiments. « Sinon, personne ne pourra manger le plat familiale », explique-t-elle. Elle soutient que ce que les hommes donnent « est toujours insuffisant ». « Je vends de la nourriture devant chez-moi. Mes bénéfices sont engloutis dans le prix de condiments », explique-t-elle.
Depuis toujours, de nombreuses femmes au foyer, soutiennent compléter le prix de condiments, en l’arrondissant, pour, disent-elles « faire plaisir aux époux et aux autres membres de la famille ».
De plus en plus, il est admis que les femmes contribuent aux charges du foyer. Elles aident l’homme à assurer à la famille les trois repas quotidiens. Ainsi, contribuer à « la popote », pour les femmes, n’est pas un exercice aisé. Il s’agit, pour elles, de suivre au centime près son budget au quotidien. Le sujet suscite beaucoup de débats dans les foyers maliens. Devant la gestion du prix de condiments, l’homme et la femme sont-ils réellement à charges et responsabilités égales ? La gestion de la « popote » relève-t-elle de la responsabilité de l’homme.
Mme Coulibaly Astou N’diaye, infirmière, est mariée depuis plus de six ans.. Elle habite à Kalaban Coura, dans la grande famille de son mari. Elle, aussi, nous dit qu’elle complète le prix de condiments. Elle soutient que toutes les femmes au foyer en font autant. Mme Coulibaly va plus loin en précisent que celles qui vivent dans les grandes familles sont les plus fatiguées. « Car, justifie-t-elle, dans la grande famille, il faut beaucoup plus de condiments pour que la nourriture soit acceptable ». « Mon mari me donne 1.500 Fcfa, par jour. Je complète cette somme à 2.000 Fcfa pour préparer seulement à midi. Le repas du soir ? C’est moi-même qui m’en occupe. Parfois, je peux dépenser 1.000 Fcfa ou plus», dit la dame.
Quant à Mme Sissoko Oulématou Diagouraga, ménagère depuis quatre ans, elle plaint les femmes qui souffrent beaucoup en ce qui concerne la gestion du prix de condiments. Car, selon Mme Sissoko, « sur les marchés, tout est cher et, tous les jours que Dieu fait, les commerçants augmentent les prix des produits ». En plus de cela, la famille s’agrandit au fil des années, avec l’arrivée des enfants. « Depuis le début de mon mariage, mon mari a fixé le prix de condiments à 1.000 Fcfa, tous les jours. Jusqu’au moment où je vous parle, il il n’a pas augmenté d’un kopek ce montant. Alors qu’avant ce que 1000f pouvait acheter, il ne peut plus aujourd’hui. Elle explique que le prix de la viande, de l’huile, ainsi que des ingrédients de tous les plats ont connu une hausse. «Au début, je pouvais ajouter seulement 100 ou 200 Fcfa. Mais, aujourd’hui, je peux compléter jusqu’à 1.000 Fcfa ou plus. Car, il y a les enfants et la cherté de la vie » dit notre interlocutrice. Face à cette situation, elle plaide la compréhension des hommes qu’elle prie « de revoir (à la hausse) le prix de condiments afin de soulager un peu les femmes ».
Compléter le prix de condiments est plus aisé pour les femmes qui vivent dans des familles nucléaires, qu’importe la somme qu’on vous remet. Penda Touré, agent comptable, en convient. « Je suis mariée depuis 11 ans. J’arrive à gérer ce que mon mari me donne comme prix de condiments, parce que je vis avec mon époux et mes enfants seulement. Donc, même si je complète, ce n’est pas avec un montant très important. Et il y a des jours ou je ne complète même pas », dit Penda. Selon elle, il y a des femmes, qui n’ont jamais complété le prix de condiments. Farima Sacko, ménagère à Lafiabougou, mariée à Ousmane Diaby, depuis plus de 20 ans, est de cette rare catégorie. Cette mère de six enfants, nous affirme qu’elle n’a jamais ajouté un franc au prix des condiments, depuis qu’elle s’est mariée. «Dès le début de mon mariage, mon mari m’a demandé de ne jamais dépenser un rond dans la préparation de sa nourriture quelque que soit sa quantité, sans son accord. Sinon, il ne me le pardonnera jamais de toute sa vie », explique Farima. « Depuis ce jour, s’il manque un condiment qui coûte, ne serait-ce que 25 Fcfa, je lui dis et il paye, sans problème. Il veut être sûr que c’est de sa poche que vient tout ce qui sera mis dans la nourriture de la famille», dit-elle.
De nombreuses femmes de la capitale ne reçoivent pas de prix de condiments de leur époux. Soit parce que le mari est malade, invalide ou en chômage. C’est le cas de Oumou Bakayoko, une femme dévouée à son mari. Mariée avec Aboubacar Zan Diarra, depuis, dix-neuf ans, notre interlocutrice est mère de quatre enfants.
Des chaussures dans les mains, une bassine remplie de marchandises en équilibre sur la tête, le front dégoulinant de sueur, Oumou qui est commerçante ambulante au «marché railda» de Bamako, nous explique qu’elle ne connait même pas le phénomène du complément du prix de condiment, car c’est elle qui pourvoie à cette charge dans son foyer.
La dame assure que depuis le licenciement de son mari, il y a 11 ans, elle est la seule à s’occuper des frais de condiments. «Je ne me plains pas car, quand on parle de mariage, on parle aussi d’entraide. Le mariage n’est pas uniquement l’union» affirme-t-elle.
Ba Bintou Camara, communément appelée « Founè Bintou », qui habite à Médina Coura, du haut de ses 82 ans, explique que depuis la nuit des temps, cette situation existe dans notre pays, certes sous une forme différente de celle d’aujourd’hui. « Avant les femmes étaient dévouées et s’intéressaient beaucoup à la nourriture et l’alimentation du foyer », car, à leur période, tout ce que les femmes recevaient, comme argent, était consacré à faire bouillir la marmite et bien nourrir la famille. « Aujourd’hui, les femmes ne complètent pas beaucoup le prix du condiment. Il y en a qui coupent même dans le montant que leur époux leur remet et les utilisent à des fins propres », soutient la grand-mère. « On ne peut plus manger la nourriture des femmes d’aujourd’hui, car elles n’ajoutent rien. Elles se contentent seulement de ce que le mari donne. Or, le mari ne peut toujours donner de gros montants pour le prix de condiments, car il a d’autres charges », poursuit-elle.
Elle s’explique cette situation chez les femmes de notre temps, par leur forte propension à bien s’habiller lors des mariages et baptêmes. « Du coup, elles ne s’occupes plus de la nourriture du foyer. Ce qui fait qu’elles ont des problèmes dans leur mariage’, dit encore Founè Bintou. « Etre une femme, c’est aussi faire de la bonne cuisine», dit-elle avec sagesse.
Contrairement à Ba Bintou Camara, Mme Keita Maimouna Ouattara, sexagénaire, soutient que toutes les femmes complètent le prix de condiments, « même si le mari est riche ». Selon Mme Keita, la différence entre les temps passé et présent, est qu’avant, les condiments n’étaient pas chers. « A leur époque, argumente-t-elle, il fallait peu d’argent pour compléter le prix de condiment ». « Maintenant, tu peux rajouter le double à ce qu’on te donne», poursuit Mme Kéita. «Les femmes d’aujourd’hui souffrent beaucoup, car le prix des condiments augmente quotidiennement. En plus, les jeunes de notre époque n’ont pas de revenu élevé », argue-t-elle.
Raison pour laquelle, elle conseille à toutes les femmes d’avoir activité économique, donc un revenu, même si les bénéfices sont faibles. « Cela stabilisera leur foyer», pense la sexagénaire.
Oussouby Kanté, ouvrier à Lafiabougou, explique que les hommes doivent accepter que les femmes complètent le prix de condiments. Selon lui, à Bamako, les chefs de famille supportent des dépenses plus qu’il n’en faut. Il cite en exemple des hommes en charge des dépenses d’alimentation, d’habillement, de logement, de santé, la scolarisation des enfants, les frais d’électricité et d’eau. « Notre salaire nous suffit à peine pour les charges de la maison et, souvent, certains n’arrivent même pas à assurer les trois repas quotidiens de la famille. Face à cette situation, beaucoup ont démissionné de leurs obligation et devoir de nourrir les leurs. Et, en ces temps durs, il n’est pas rare de voir des femmes assurer la relève des hommes pour la nourriture», fait-il remarquer.
Moriba Dembelé, enseignant, dit ne pas être d’accord avec Kanté. Selon le pédagogue, les femmes ne complètent pas le prix de condiments. « Au contraire, elles en utilisent une partie pour l’investir dans des tontines journalières », accuse-t-il. M. Dembélé soutient que « sur dix femmes, il y a seulement une qui complète le prix de condiment ».
Pour le sociologue Oumar Touré, les foyers connaissent de réelles difficultés à cause de cette situation. Il affirme que les salaires ne couvrent pas les dépenses du foyer. Ce qui fait que les fins de mois, au lieu d’être des moments de réconfort, deviennent des moments de stress, d’angoisse et de soucis pour la majorité des ménages.
«Les chefs de famille naviguent entre les dépenses de nourriture, les factures, les frais scolaire et de santé », dit-il. Pour le sociologue, de plus en plus, les femmes interviennent, en complément, pour aider l’homme, afin d’assurer aux enfants les trois repas. Une obligation qui, selon lui, est un calvaire actuellement pour les ménages.
BT/MD (AMAP)