Ce concepteur de machines industrielles estime que l’expertise locale est en mesure de relever le challenge de la transformation agro-alimentaire

Par Oumar SANKARE

Bamako, 25 janv (AMAP) Le 24 novembre 2022, lors d’une cérémonie de remise de matériels à des femmes  spécialisées dans l’agro-industrie à Bamako, le ministre du Développement rural, Modibo Kéita, et sa délégation vont à la rencontre d’un homme. Au centre de leur attention, un séchoir solaire «Made in Mali».

Le ministre Kéita écoute religieusement l’exposé de Moumouni Traoré, le concepteur de la machine. Les performances de cet appareil sont impressionnantes. En effet, il est capable de sécher 350 kg de pulpe de mangue par jour et de leur faire atteindre une qualité de conservation d’au moins deux ans.

Tako Sylla, représentante des unités industrielles, ne cache pas son étonnement. «Depuis des années, nous nous donnons du mal pour trouver des machines à l’étranger ainsi que des techniciens pour les réparer en cas de panne. C’est un grand évènement que de savoir qu’on a un spécialiste malien à portée de main et établi sur place », commente-t-elle.

Une semaine après, nous avons rendez-vous avec notre innovateur-concepteur à son atelier métallurgique à Magnambougou (Bamako). Look à la texane (stetson et bottes), Moumouni Traoré nous fait visiter ses installations. Dans l’atelier règne un vacarme assourdissant. On martèle, on découpe, on scie, on soude. Des machines déjà achevées attendent d’être enlevées. D’autres sont en cours de fabrication.

Le natif de Sikasso nous explique ce qui l’a amené dans un univers qui n’est pas celui de sa formation d’origine. « Dans notre pays, 40 à 60% des productions fruitières, maraichères ainsi que des produits issus de l’élevage (viande, lait) sont perdus chaque année pour plusieurs raisons. À commencer par l’étroitesse du marché intérieur. Tous les produits arrivent à maturité à la même période. Une fois les besoins de consommation satisfaits, l’absence de structures de conservation fait que le restant est jeté», fait-il remarquer.

Sans oublier, ajoute le sexagénaire, « l’enclavement des zones de production, le mauvais état des routes, la faible disponibilité de moyens de transport pour acheminer les produits des zones de productions vers les zones de consommation. » « Tout ceci combiné entraine des pertes énormes pour les producteurs », déplore l’innovateur. Au moment où la mangue pourrit à Sikasso, le même fruit est vendu à Gao à 500 Fcfa l’unité. De même, à Baguinéda des tonnes de tomates entassées au bord de la route ne trouvent pas preneur, faute de technologie de transformation et de conservation.

Face à ces anomalies, notre interlocuteur énonce un credo très simple : «En tant qu’innovateur, nous avons donc décidé d’apporter notre contribution en mettant en place au niveau local des équipements faciles à fabriquer, à entretenir, à réparer en cas de panne et aisés à utiliser par les producteurs et les transformateurs», dit-il avec fierté, la tête pleine de rêves.

LONGUE EXPÉRIENCE – Ce credo, Moumouni Traoré l’a forgé pendant 40 ans d’expériences diverses. Economiste de profession, le thème de son mémoire a porté en 1984 sur «L’étude du marché des chauffe-eau solaires à Bamako». Ce qui l’amène à effectuer des enquêtes auprès des laboratoires. «C’est là que je me suis intéressé à la production des équipements», précise-t-il.

Par la suite, il devient un diplômé plein de rêves, mais sans emploi et avec un intérêt poussé sur le solaire. C’est alors qu’il était encore au chômage qu’il monte une société de séchage solaire à Yirimadio (Bamako) sans le moindre financement. Sa voie actuelle, il commence à la trouver en travaillant dans le milieu des ONG. Moumouni fera deux ans à Mopti dans l’installation des pompes solaires, des systèmes d’irrigation solaire et des puits dans plusieurs villages.

«Il n’est jamais à court d’inspiration. Il expose ses idées et moi, je me charge de leur donner une forme matérielle», nous dit Ousmane Cissé qui est le partenaire de Moumouni depuis dix ans. «Travailler avec lui, c’est relever en permanence des défis. Quand il débarque avec une nouvelle idée, on discute et souvent tu as même l’impression que c’est impossible, mais au final on y arrive », relate le métallurgiste.

La pratique du séchage solaire a toujours existé dans notre pays. Malheureusement, menée de manière primaire, elle est fortement aléatoire et agit négativement sur la qualité des produits. Or, les Maliens sont devenus de plus en plus exigeants vis-à-vis de ce qu’ils consomment. «Aujourd’hui, les femmes veulent des poivrons emballés, des piments et autres condiments de meilleure qualité. Elles sont sensibles à la différence qui existe entre le produit transformé et celui issu de la conservation traditionnelle», constate Moumouni Traoré.

L’homme dresse un autre constat. «Les Maliens, soutient-il, disent que les Maliens n’aiment pas que tout ce que les Maliens eux-mêmes produisent. Moi, je dis non. En réalité, le problème, c’est que tout ce que les Maliens produisent est trop cher pour les Maliens. Le sachet de mangue séchée coûte 500 Fcfa, voire plus, alors qu’il peut être vendu à 100 ou 150 Fcfa de Kayes à Kidal toute l’année. A condition que le séchage soit bien fait, et le coût de fabrication maîtrisé. Il faut encourager la consommation locale. Ce qui va se répercuter positivement sur la commande chez les équipementiers locaux et sur l’artisanat local qui se modernise à la longue», explique-t-il.

ENGOUEMENT – Le fabriquant ne s’interdit pas de rêver grand pour le Mali. «Avec le bétail au Nord, le poisson et le bétail au Centre, les fruits et les légumes au Sud, il y a suffisamment de ressources pour transformer, conserver et vendre les différents produits des zones excédentaires vers les zones déficitaires», analyse-t-il.

Ce qui renforce sa foi, c’est l’engouement de la jeunesse pour la technologie. «J’ai vu des jeunes produire des petits multiculteurs à partir de moteurs de moto Djakarta, d’autres qui fabriquent des drones et, récemment, des Maliens ont remporté le premier prix d’une compétition de robotique aux États-Unis» s’enthousiasme-t-il. Pour lui, « il y a juste, dans notre pays, un manque d’accompagnement des porteurs de projets. Nous avons des centres d’innovations et des services techniques qui malheureusement ne sont pas encore synchros avec les apprentis promoteurs ».

Inutile de dire que Moumouni Traoré est, lui, un fervent adepte de l’innovation. Il fait remarquer que les ateliers de soudure et menuiseries métalliques ne sont utilisés que pour faire des portes et fenêtres alors qu’ils peuvent y ajouter la production de séchoirs solaires, de presses, de pasteurisateurs et bien plus. Il nous parle de ces ateliers qui se sont lancés avec succès dans la mouture des oignons séchés, condiment qui fait le bonheur des ménagères et qui est cédé à un prix très abordable.

Notre innovateur a, autour de lui, une jeune garde qui profite de ses conseils et de son expérience. Il regrette, cependant, que l’épineuse question du crédit bancaire représente souvent un obstacle rédhibitoire.

Moumouni Traoré dispense également des formations dans l’irrigation (aspersion, goutte à goutte, système californien) sur plus de 200 ha aménagés. Il a formé des centaines de personnes dans la culture fourragère, excellent aliment bétail utilisé à Mopti et Sikasso. Il initie le recours à des plantes dénommées Jean King Grass, venues des États-Unis et qui se renouvellent quatre semaines après avoir été fauchées. Pour Traoré, il faut amener les éleveurs à produire eux-mêmes leur fourrage pour nourrir les animaux.

Infatigable, Moumouni Traoré répète sans cesse une profonde conviction : le développement local se construira à travers la valorisation de notre savoir-faire local.

OS/MD (AMAP)