Par Fadi CISSE
Bamako, 29 oct (AMAP) Un samedi soir à Lafiabougou, en Commune IV du District de Bamako. Le ciel est totalement dégagé. Tempéré, le vent souffle par moment. Les douze jeunes (filles et garçons) qui composent le « grin » «Ankata (En avant), en bambara sont, comme, à leur habitude, réunis autour du chef de groupe Adama Sacko dit Lil Kedji. Au loin, une saveur agréable de thé bien cuit inonde les lieux. La théière chauffe. Le premier des trois verres du thé semble prêt.
Ce rendez-vous est devenu un rituel pour ces jeunes-là. Chaque jour, ils dépensent environ 1 000 Fcfa pour acheter un paquet de thé de dix sachets de 125g. «On prépare cinq le matin et on garde les cinq autres pour le soir», explique Adama Sacko, en pianotant sur le clavier de son Smartphone. Chacun contribue. Il arrive que l’un d’entre eux achète la dotation du jour pour tout le groupe. «On ne voit pas l’intérêt de former un grin sans faire du thé à côté», confirme-il, précisant qu’ils consomment toutes sortes de marque de thé.
Au Mali, voir un regroupement de personnes sans l’inévitable théière relève de l’impossible. Les causeries entre groupes d’âge ou de collègues appelés «grins» se font généralement autour du thé et dans la rue. Les familles se réunissent autour du thé. Il est également très prisé lors des cérémonies sociales : mariages, baptêmes et même les funérailles. Les bureaux des services publics comme privés, ne sont pas épargnés.
Sur ces lieux de travail, des amateurs paient ou chargent des jeunes de préparer du thé pour le leur servir dans les bureaux. Sa consommation est ancrée dans les traditions et habitudes alimentaires.
PLUS D’UNE CENTAINE DE MARQUES DE THÉ – Toute chose qui expliquerait la prolifération sur le marché malien de plusieurs dizaines de marques de thé. On estime le nombre à près de 126. On en trouve dans toutes les boutiques de quartier. Salam Dicko est boutiquier à Hamdalaye ACI. Plusieurs variétés de thé emballées dans des sachets de couleur jaune, bleue, noire, rouge, etc. sont exposées dans les rayons de son magasin. «Par semaine, je peux écouler plusieurs cartons de thé de marques différentes», se réjouit le marchand. Précisant que les clients les achètent selon leur préférence, il ajoute que toutes les marques de thé marchent bien au Mali.
Importés d’Algérie, de Mauritanie, du Maroc et de Chine, ils se vendent comme de petits pains. Sur la période allant de janvier à juillet 2021, le Mali a importé 2.383 tonnes de thé. Ces marchandises ont transité par les ports de Lomé, au Togo, d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, de Dakar, au Sénégal et de Conakry, en Guinée, explique un chef de division à la direction régionale de l’agriculture. Adama Keita ajoute : «Les marques les plus vendues sur le territoire national sont : Achoura, Firdhaous, Alkaoussara… ». « Ces thés sont tous de qualité et bien inspectés avant d’être mis en circulation dans le pays », assure-t-il.
Ces précautions écartent certes les risques d’intoxication, mais la consommation de thé crée une réelle dépendance qui pourrait expliquer la montée sans cesse croissante de sa côte de popularité, selon un médecin nutritionniste. « Le thé reste un excitant à travers la caféine, la théine et d’autres substances qu’il contient », explique Dr Mamadou Traoré.
« La consommation du thé apparaît aux yeux d’un nombre important de Maliens comme un phénomène social permettant de consolider les liens d’amitié et de retrouvailles », note le sociologue Dr Aly Tounkara. Le fait qu’il y ait un «grin» sans thé est mal perçu dans notre entourage. Cela a été exploité par les commerçants. Ceux-ci ont saisi les «grin» comme une sorte d’aubaine afin de diversifier les variétés de thé pour pouvoir faire davantage de profit.
RICHE EN ÉLÉMENTS NUTRITIFS – Au même moment, la consommation de cette boisson sucrée va au-delà des retrouvailles au «grin», « elle questionne à la fois le travail dans les administrations publiques et privées », analyse le professeur d’enseignement supérieur. Pour qui ces lieux sont rythmés, aujourd’hui, par une consommation accrue du thé. «Cette boisson à tendance à sortir d’un cadre phénoménologique pour devenir un fait de société», conclut Dr Tounkara.
Quid des avantages ? Le thé contient des éléments nutritifs, reconnaît l’expert en nutrition. Pour pouvoir profiter de ces vitamines, il doit être consommé à distance entre les repas et sous une forme infusée, recommande Dr Traoré. « Ce qui permet, insiste-t-il, de conserver ces éléments nutritifs (vitamines et acides aminés) et de réduire la teneur en théine.
«Le the infusé contient des acides organiques, moins de caféine, des vitamines (A, B, C, E, P), des minéraux (potassium, phosphore, magnésium) et des centaines de substances aromatiques. C’est également un excellent antioxydant», explique le spécialiste. S’il est consommé avant le repas, le thé vert contient une autre vertu. «Il optimise l’absorption des différents nutriments comme le magnésium et autres vitamines», révèle Dr Mamadou Traoré.
Le nutritionniste conseille aux personnes anémiées de modérer leur consommation de thé, car il inhibe l’absorption et l’assimilation du fer. Aussi, n’est-il pas indiqué de le consommer juste avant d’aller au lit, car la théine qu’il contient, comparable à la caféine, peut rallonger le temps d’endormissement. C’est pourquoi, il est demandé d’arrêter d’en consommer au moins quatre heures avant le coucher.
Les femmes enceintes, qui en absorbent, risquent de transmettre les toxines au fœtus. À travers le placenta, la caféine peut entrer dans son circuit sanguin. Les conséquences peuvent être les problèmes de croissance, de naissance prématurée et de fausse couche, prévient-il.
FC (AMAP)