
Plus de 45.000 ha se prêtent à la culture de cette céréale dans la Région de Tombouctou (Nord). Seulement, environ 10.000 ha sont exploités pour une production annuelle de 45.000 tonnes.
Par Mohamed TOURÉ
et Almahadi A. TOURÉ
Bamako, 9 nov (AMAP) On pourrait bien appeler cela le paradoxe malien. L’État renonce à des milliards de Fcfa chaque année pour encourager l’importation de denrée de base : riz, blé… Le pays dispose, pourtant, de potentialités immenses inexploitées pour la production à grande échelle de ces produits, notamment du blé.
Plus de 45.000 ha se prêtent à la culture irriguée du blé dans la Région de Tombouctou et 100.000 ha aménagés dans la zone Office du Niger avec une disponibilité des ressources hydriques et des conditions agro-climatiques favorables, selon les estimations de l’Institut d’économie rurale (IER).
Ce potentiel est loin d’être exploité. Les données officielles soulignent que le Mali n’exploite qu’environ 10.000 ha sur ce potentiel immense. La production totale moyenne s’élève à 45.000 tonnes soit une productivité moyenne de 3,5 tonnes par ha. La consommation annuelle de blé dépasse 365.000 tonnes, dont seulement 12,33% produits localement. Le pays importe une grande quantité de graine de blé d’Europe pour la consommation domestique.
Les données de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) montrent que le Mali dépend fortement des importations de blé. «De 2015 à 2018, environ 278.550 tonnes de blé ont été importées en moyenne pour un coût annuel moyen estimé à près de 69 millions de dollars (environ 45,4 milliards de Fcfa)», souligne un document de recherche que nous avons consulté. À titre illustratif, « le Mali a importé 380.000 tonnes de blé en 2020 pour une consommation de 420.000 tonnes soit une production nationale de seulement de 40.000 tonnes », note le même document.
Seulement ces derniers mois, le blé est devenu une denrée stratégique dans un contexte mondiale marqué par les effets de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Ces deux pays en sont les principaux producteurs mondiaux. «30% du blé au monde provient de la Russie et de l’Ukraine. Le blé est une céréale très consommée dans le monde et la plupart des pays importent de ces deux pays», explique l’économiste Modibo Mao Makalou, à propos de l’importance du blé dans le contexte de ce conflit qui secoue le monde depuis le 24 février 2022.
La principale conséquence de ce conflit sur le continent africain a été la flambée des prix des denrées importées de ces deux pays. L’opportunité pourrait ainsi venir de la mise en valeur de la production locale pour les pays disposant de potentialités agricoles. «Le blé a la particularité d’être cultivé pendant la période froide alors que le riz par exemple est cultivé au cours de la période chaude», explique le Dr Oumarou Goïta, chercheur à l’IER. Ce spécialiste travaille, depuis plus de 20 ans, sur la sélection, le choix des variétés et les innovations dans la culture du blé au Mali.
Les différents travaux qu’il a menés avec ses collègues ont permis de connaître avec précisons les conditions environnementales et les périodes de semi favorables au blé au Mali.
Le Dr Goïta souligne que la culture du blé demande une grande technicité dans la gestion de l’eau pour fructifier les températures. Cette céréale a aussi la particularité de ne pas consommer beaucoup d’eau et les températures fraiches lui sont propices. Une aubaine pour certaines localités de la Région de Tombouctou, dans le Nord du Mali. La première région du Mali où la culture du blé aurait été introduite dès le 15è siècle, selon des sources historiques, par les Almoravides (Confrérie de moines guerriers, Berbères sahariens).
ABANDON AU PROFIT DE L’OIGNON – Dans le Cercle de Goundam (Nord), le blé est en effet cultivé depuis des générations. Trois communes sont les fiefs de cette culture : Douékiré, Kanèye et Doukouria, situées à l’est de la Commune urbaine de Goundam, respectivement à 45 km et 5 km du chef-lieu de Cercle. Selon le chef du service local d’agriculture à Goundam, Amadou Almoudou, près de 2.500 ha de terres y sont exploités, chaque année, avec une production annuelle de 18.750 tonnes soit 7,5 tonnes à l’hectare. « Les surfaces cultivables sont façonnées en casiers, la méthode culturale est le semi par poquet et l’irrigation faite à l’aide de motopompes », explique Amadou Almoudou.
Regroupés au sein de la coopérative des producteurs de blé du Cercle de Goundam, les producteurs écoulaient à perte une grande partie de la production. Le reste était vendu aux populations locales. Toute la production locale du Cercle, avant l’installation de l’insécurité et la survenue de la pandémie de Covid-19, intéressait un seul gros client : Achcar.
« Il sillonnait les cercles de Diré et de Goundam à la fin des campagnes pour acheter les récoltes de blé, mais à un prix jugé presque dérisoire faute de concurrence », se souvient le président de cette unique coopérative des producteurs de blé. Mossa Ag Demba. Il juge que cette situation a découragé plus d’un exploitant.
En plus de la vente à perte, les producteurs de blé demeurent confrontés à de nombreux défis dont la vétusté du système de canalisation, l’inflation du prix de l’engrais et autres intrants agricoles. Ce cumule de problèmes démotive de plus en plus les exploitants.
Face à la situation, beaucoup de producteurs sont tentés d’abandonner la culture du blé, ces dernières années, au profit de l’oignon, du cumin et de l’anis, vendus dans les région situées au sud du pays à des prix plus alléchants. Avec l’argent obtenu, ils parviennent à payer des intrants, des tonnes d’engrais, des pièces de rechange et du carburant pour les motopompes. Une alternative à la perte causée par la mauvaise commercialisation du blé.
Aujourd’hui, les blés produits dans les zones d’exploitation sont achetés et consommés par les populations des Régions de Tombouctou et Gao. Ils s’écoulaient très timidement, mais avec la crise actuelle les derniers stocks de blé ont été raflés par les consommateurs locaux. Le «sawal» l’unité de mesure du marché de la localité qui correspond à 3 kg est vendu à 1.750 Fcfa la mesure.
Selon des documents de recherches, le blé est le deuxième produit agricole le plus important au Mali pour la sécurité alimentaire en termes de quantité et de calories consommées. Les études ont relevé que le blé produit au Mali présente «d’excellentes caractéristiques protéiques avec un taux de 12%». Ce blé malien est même utilisé pour améliorer la faible teneur en protéines du blé importé 10,5% dans la fabrication, renseignent les documents des chercheurs de l’IER que nous avons consultés. Ce blé n’est pourtant pas apprécié à sa juste valeur car acheté auprès des paysans à 200 Fcfa le kg et 225 Fcfa le kg avec le transport.
ALIMENTS TRADITIONNELS – De l’avis de beaucoup d’exploitants de blé, si rien n’est fait pour soutenir la culture du blé, celle de l’oignon risque de prendre le pas sur le blé dans les trois communes. Les producteurs migrent vers la culture de l’oignon qui est plus rentable financièrement.
L’oignon est vendu et n’a pas les mêmes caractéristiques qu’une céréale comme le blé consommée localement en période de soudure. «La culture du blé reste un rempart pour les producteurs dans la lutte contre l’insécurité alimentaire. À Tombouctou, le blé entre dans la préparation de plus de 50 types d’aliments traditionnels dont le Takula, le Fujula entre autres», explique le technicien Oumarou Goïta.
Le chercheur assure que les techniques pour booster la production sont connues et les résultats des études menées en la matière sont disponibles. Mais, selon lui, «la politique nationale joue contre les producteurs». «L’État injecte beaucoup d’argent pour supporter les commerçants, les industriels qui font l’importation. Cet état de fait tue les producteurs locaux», estime Dr Goïta qui déplore un manque volonté pour la valorisation de la culture du blé produit localement.
Cependant, les initiatives sont en cours pour redynamiser la production locale. L’Union africaine (UA) a mis en œuvre le Programme intégré de développement de l’agriculture face aux effets des changements climatiques. Ce projet prévoit, dans plusieurs pays bénéficiaires dont le Mali, le financement pour le machinisme agricole, la formation des chercheurs et des producteurs pour plusieurs cultures dont le blé. De quoi donner de l’espoir à Oumarou Goïta qui insiste sur des mesures de protection des petits producteurs locaux. «Tant que la production nationale n’est pas épuisée, les gens ne doivent pas aller chercher à l’extérieur», préconise-t-il.
Les variétés d’aujourd’hui produisent jusqu’à 6 tonnes à l’hectare. Quelque 180.000 tonnes de blé importées pour 23 milliards de Fcfa ! « En injectant cette manne dans la production nationale, on pourra largement couvrir les besoins et même exporter notre blé dans la sous-région », estime-t-il.
MT/AAT (AMAP)