L’amateurisme impacte les performances des clubs et des sélections et laisse perplexes les acteurs

Par Djènèba BAGAYOKO

Bamako, 28 oct (AMAP) Le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Sénégal, la Mauritanie, presque tous les pays frontaliers du Mali sont entrés dans le football professionnel. La planète foot du Mali doit prendre son mal en patience. Pour le moment, il n’y a aucun signe annonciateur de la création d’un championnat professionnel de football.

Le temps presse car depuis plusieurs années, la Fédération internationale de football (FIFA), l’instance suprême du football, exhorte ses associations membres (Ndlr, les fédérations) à intégrer le professionnalisme dans leur programme.

Pourtant, le Mali a connu ses premiers clubs bien avant l’indépendance du pays en 1960. Parmi ces formations, figurent le Stade malien, le Djoliba, le Réal etc. Le Mali a disputé les deux premières finales de la Coupe d’Afrique des clubs champions (actuelle Ligue des champions) grâce au Stade malien et au Réal qui se sont inclinés chacun face, respectivement à Oryx Douala (1-2) et Stade d’Abidjan (1-3).

Après ces deux finales, il faudra attendre un demi-siècle (2009) pour voir un club malien en finale d’une coupe d’Afrique : le Stade malien qui soulèvera le trophée de la Coupe de la Confédération africaine de football (CAF), en battant aux tirs au but l’Entente de Sétif (Algérie) (2-0 à l’aller et 0-2 au retour puis 3-2 pour le Stade malien). Jusqu’à ce jour, c’est la seule consécration d’une formation malienne sur l’échiquier international.

En 2012, le Djoliba a atteint, pour la première fois de son histoire, la finale de la Coupe CAF, mais a trébuché sur la dernière marche, face aux Congolais de l’AC Léopards de Dolisie (2-2 en aller et 1-2 au retour). C’est le dernier haut fait d’armes pour les clubs maliens et plus inquiétant, aucune formation du pays n’a réussi à se qualifier pour la phase de poules de la Ligue des champions depuis le lancement de cette compétition en 1996

Forcément les supporters se posent des questions et ne parviennent pas à s’expliquer cette longue disette. Est-ce le niveau de nos équipes qui est en cause ? Les clubs manquent-ils de moyens pour pouvoir rivaliser avec l’élite africaine ? Les dirigeants sont-ils à la hauteur ? Existe-t-il un problème d’organisation ? Voilà autant de questions qui se posent, chaque année, les supporters.

Pour ce footballeur que nous désignons par les initiales A. D., l’amateurisme est le problème principal des clubs maliens. «Nous souffrons énormément ici, le football est notre plaisir, mais nous jouons également pour avoir quelque chose à donner à nos familles. Malheureusement, avec le système actuel, on ne peut pas s’épanouir ou vivre de son travail. C’est la triste réalité du football malien», pointe A. D.

Selon lui, quand un joueur se blesse à l’entraînement ou lors d’un match, le club prend seulement en charge les premiers soin. «Ensuite, il faut se débrouiller et ce quelle que soit la gravité de la blessure», poursuit notre interlocuteur qui évolue depuis une décennie dans un grand club de Bamako. Il interpelle les dirigeants du football national pour, plaide-t-il, «revoir la copie afin d’alléger la souffrance des joueurs».

A. D. souhaite l’implication des autorités sportives pour faire bouger les lignes et valoriser les footballeurs du pays. «Des fois nous avons honte vis-à-vis de nos familles qui nous soutiennent pendant des années et qui ne reçoivent presque rien en contrepartie. Personnellement, c’est ma mère qui me donne de l’argent pour les petits besoins. Cela ne peut pas continuer», dit-il.

Un ancien joueur, sacré plusieurs fois champion national et qui joue actuellement à l’extérieur, témoigne : «Je me rappelle, quand je jouais au Mali, je touchais 15.000 Fcfa par mois, mais pas de façon régulière. Que peut-on faire avec un tel salaire» ? Selon notre interlocuteur, les joueurs percevaient 1 000 Fcfa pour le transport, une somme que la plupart de ses coéquipiers utilisait également pour manger.

«Tout le monde connaissait le système », se souvient-il encore. « Après les entraînements, on prenait 500 Fcfa de carburant et on achetait à manger avec le reste. C’était une vie de misère». Le joueur a réalisé son rêve, après le Championnat d’Afrique de nations (CHAN) qui s’est déroulé au Cameroun en 2021, avec la signature de son premier contrat professionnel.

Contrairement aux deux joueurs cités plus haut, Abdramane Traoré «RBA», le frère cadet d’Hamari Traoré, se réjouit de sa situation au Réal mais souhaite l’instauration d’un championnat professionnel. «J’ai eu la chance de connaître quelques clubs de Ligue 1. Quand j’étais au Réal, l’année dernière, les salaires étaient acceptables et payés régulièrement, témoigne le joueur ». Mais il s’empressera d’ajouter : « L’arbre ne doit pas cacher la forêt, beaucoup de joueurs souffrent dans leur club. Ils mouillent le maillot sur le terrain mais les salaires sont insignifiants», avoue l’attaquant qui vient de signer en Libye.

A l’instar des joueurs, les supporters attendent également avec impatience l’avènement du professionnalisme. Pour Famoussa Diarra, rencontré au stade Modibo Keïta, lors du match amical entre la sélection nationale locale et son homologue de la Guinée, le salut des jeunes se trouve dans le professionnalisme.

Selon lui, le football amateur n’apporte rien aux joueurs, alors qu’ailleurs leurs camarades d’âge «gagnent tout grâce au football». «Au Mali, les footballeurs souffrent. Des fois, ils n’ont même pas le prix de l’essence pour retourner à la maison après les séances d’entraînement. Ils sont obligés de demander de l’argent aux supporters et pendant ce temps, les dirigeants roulent dans des voitures de luxe payées avec l’argent des clubs», dit M. Diarra qui enfonce le clou : «C’est tout ça qui tue notre football. Dieu n’aime pas l’injustice».

BLOCAGE – Le président du Réal, Me Famakan Dembélé se dit favorable à la professionnalisation pour améliorer la situation des joueurs. Pour lui, le Mali est en retard et il est grand temps que notre football tourne la page de l’amateurisme pour le bien de l’ensemble des acteurs du ballon rond.

Certes, le professionnalisme demande beaucoup de choses, admet-il, mais avec l’évolution du football, «c’est quelque chose qui est devenu indispensable». Selon Me Dembélé, l’instauration du professionnalisme va apporter beaucoup de choses au football malien.

«Avec la professionnalisation, explique le président du Réal, on va faire des contrats de travail pour les joueurs en les inscrivant à l’Institut national de prévoyance sociale (INPS) et tous les clubs seront obligés de construire des infrastructures adéquates. Le championnat, aussi, sera bien médiatisé, avec forcément des retombées financières pour la fédération et les équipes».

Le président du Comité transitoire du Stade malien, Mamadou Samaké, «Sam Djèma», abonde dans le même sens. «Il faut que nous changions le visage du football. Le professionnalisme est une très bonne chose, il permettra à beaucoup de joueurs de changer leurs conditions de vie et aux dirigeants des clubs de travailler pour changer l’image de leurs clubs», argumente le seul président de club malien à soulever à ce jour, un trophée de Coupe d’Afrique (la Coupe de la Confédération 2009 avec le Stade malien).

«Nous attendons tous l’avènement du professionnalisme, il facilitera le travail des entraîneurs et marquera une étape importante dans le développement du football national», affirme, de son côté, Sékou Seck «Backo», l’entraîneur du Djoliba.

«En tant que techniciens, a-t-il insisté, nous sommes gênés de voir les joueurs dans certaines conditions de vie, alors qu’ils jouent au haut niveau et vivent du football ». Et Backo de conclure : «La fédération est interpellée ainsi que le ministère en charge des sports».

Pour le président de la Fédération malienne de football (FEMAFOOT), Mamoutou Touré «Bavieux», tout le monde est conscient de l’importance du professionnalisme dans le football moderne. Le premier responsable du football national estime que la question ne se pose même pas et rappelle que le projet a été longuement évoqué lors de la 48è assemblée générale ordinaire de la FEMAFOOT , tenue en 2021.

«Le problème du professionnalisme, c’est l’argent. Au Mali, c’est l’Etat qui finance le football et ce financement ne peut satisfaire l’ensemble des besoins du comité exécutif de la fédération. Il faut trouver d’autres sponsors pour permettre au football malien de se projeter vers un vrai professionnalisme», explique Bavieux.

Selon le président de l’instance dirigeante du football national, «des partenaires se sont manifestés ces derniers temps, mais ce n’est pas suffisant d’où la nécessité d’un accompagnement financier accru de l’Etat pour la modernisation du football malien», plaide-t-il.

Une source proche de la FEMAFOOT révèle que l’organisation du championnat de première division coûte environ 950 millions de Fcfa.  Grâce au sponsoring d’une société de téléphonie mobile de la place, chaque équipe de l’élite perçoit 20 millions de Fcfa payables en trois tranches. Une partie de cet argent est utilisée pour le transport, la restauration et l’hébergement des équipes.

Mais combien faut-il à la FEMAFOOT pour organiser un championnat professionnalisme ? Pour le moment, personne ne semble avoir la réponse à cette question et tout laisse à enser que l’heure du professionnalisme n’a pas encore sonné pour le ballon malien.

DB (AMAP)