Par S. DOUMBIA
Bamako, 21 mar (AMAP) La nouvelle génération a franchi le Rubicon. Les règles non écrites de la chambre nuptiale sont aujourd’hui allègrement foulées au pied. De jeunes mariées avec leurs sœurs et copines n’ont plus aucun scrupule à exposer une partie de l’intimité du couple à travers des images postées sur les réseaux sociaux.
Se faire photographier ou filmer dans la chambre nuptiale et poster les images sur les réseaux sociaux est le nouveau phénomène qui emballe la jeunesse 2.0. De plus en plus, de jeunes mariées, ne craignant aucune réprobation de la communauté, jouent le jeu. Aujourd’hui, la pratique horrifie les puritains qui entendent la combattre à travers la sensibilisation sur les mêmes réseaux sociaux et l’éducation à un bon savoir-vivre et savoir-être. En tout cas, les aînés ne s’accommodent pas de voir des règles non écrites de la chambre nuptiale allègrement transgressées.
Les jeunes mariées qui se retrouvent dans la chambre nuptiale (kognosso) ont inventé le phénomène de la séance de clichés ou de se filmer soit en compagnie de leurs copines soit seules pour ensuite les postes sur les réseaux sociaux. Alors que dans le temps, on retrouvait les images de la chambre nuptiale dans un album photos. Et seuls les intimes avaient le droit d’y jeter un coup d’œil. Une pratique nouvelle aux antipodes de nos traditions. Les conseillères nuptiales ne manquent pas de la dénoncer.
Une conseillère nuptiale est très souvent mise au service des jeunes couples durant les noces. Généralement d’un certain âge, elle demeure une encyclopédie qui enseigne aux conjoints, surtout à la jeune mariée, les bonnes pratiques et manières convenables. Mais, aussi, sur le savoir-être dans la société en général et dans la belle-famille en particulier.
Mme Gakou Astan Koné est conseillère nuptiale depuis des années. Selon elle, la tradition est en perte de vitesse parce que les jeunes mariées semblent n’accorder aucun crédit aux pratiques traditionnelles qui les mettent pourtant à l’abri de certaines difficultés liées à la vie de couple et en famille. « La chambre nuptiale a été instaurée pour éduquer le couple, apprendre aux conjoints à se respecter, à rester calme. Une autre facette de la chambre nuptiale est de renforcer la foi des mariés à défaut les initier à l’islam. Mais, aussi, d’apprendre à la conjointe une gestion des rapports avec sa belle-famille et à repousser ses limites mêmes dans les situations d’inconfort. L’homme est tout aussi concerné par les conseils », explique la conseillère des traditions.
TOHU-BOHU – Tout cela se passe à l’abris des regards, dans le respect strict de l’intimité du couple, notamment de la mariée. Mais, constate Mme Gakou Astan Koné, il y a une nouvelle pratique de la jeune génération. « Les amies de la mariée viennent discuter sous la moustiquaire, couper le gâteau et même se photographier », s’indigne la conseillère nuptiale.
Estimant qu’elles transgressent, de ce fait, les règles non écrites de la chambre nuptiale, la conseillère nuptiale dit avoir été scandalisée par le cas d’un couple qu’elle encadrait. « La mariée, ses sœurs et copines ont semé le grand bazar. Cela dans un tohu-bohu qui incommodait même le voisinage », raconte-t-elle. Mme Gakou Astan Koné exprime son sentiment d’impuissance et essaie, avec le recul, de trouver une justification a cette « évolution. » Mais pour elle, cela ne doit en aucune façon justifier les dépravations que nous enregistrons dans la chambre nuptiale.
Mme Touré Mamy, interprète et médiatrice pour les migrants résidant en France, abonde dans le même sens. Malienne d’origine, elle n’apprécie pas cette pratique de la nouvelle génération. « Je me suis mariée en 2015 donc il n’y a pas très longtemps. Pour moi, ce changement est lié à plusieurs choses, notamment la famille, la religion et l’éducation. Les règles de la chambre nuptiale sont strictes et beaucoup de nos sœurs ne les supportent pas », dit-elle. « Les filles d’aujourd’hui n’ont pas d’intimité, c’est pourquoi elles s’exposent sur les réseaux sociaux au prétexte d’être au diapason de l’évolution de la société », regrette-t-elle.
La jeune génération a-t-elle consciente qu’elle est en train de transgresser cette tradition qui fait partie des règles de fonctionnement de notre société ? Pas du tout si l’on s’en tient aux propos de Néné. Cette jeune fille ne voit pas d’inconvénient à la nouvelle pratique. Elle trouve même normal que quand on se marie, il faut bien le montrer. Et le canal approprié aujourd’hui, ce sont les réseaux sociaux.
Face à cette tendance des jeunes qui frôle l’insouciance, Daouda Diarra, imam d’une mosquée à Niamana, invite à se ressaisir. « Revenons à nos fondamentaux, à notre culture mais, aussi, à nos us et coutumes. Référons-nous à la religion, sinon un jour ou l’autre nous le regretterons », a averti le religieux,
« Comment expliquer que dans la chambre nuptiale, un couple puisse filmer son intimité et l’exposer sur les réseaux», s’interroge l’imam. Avant de rappeler qu’autrefois, seul le mari pouvait voir le visage de sa conjointe dans la chambre nuptiale.
SD/MD (AMAP)