Par Oumar SANKARE

Bamako, 18 janv (AMAP) À Koulikoro, à une soixantaine de kilomètres de Bamako, la capitale du Mali), non loin du gouvernorat, il y avait, jadis, de vastes mangueraies soigneusement entretenues par le vieux Moussa Diallo. Ramata Traoré, la cinquantaine révolue, assise avec ses trois sœurs autour d’un thé, dans leur concession familiale, se remémore : «Toute mon enfance, mes petits camarades et moi avons consommé ces mangues à volonté sans jamais nous soucier du prix d’une mangue.»

Comme Ramata, plusieurs habitants de la zone en ont largement profité. C’est le cas de Modibo Diarra, enseignant à la retraite. Nous le rencontrons parmi son groupe de joueurs de belote. «Il fut un temps où nous nous permettions même de ramasser les mangues de ce verger pour les envoyer à nos parents à Bamako et dans d’autres localités. La mangue était tellement abondante à l’époque (et ça l’est toujours) que les bœufs au retour de pâturage se contentaient de les humer et continuer leur chemin», témoigne-t-il. Avec le recul, Modibo Diarra et ses camarades se rendent compte de toute cette richesse inexploitée dans leur région natale.

«La mangue, à elle seule, peut être une industrie pourvoyeuse d’emplois pour toute la jeunesse de la Région de Koulikoro. C’est un crève-cœur de voir une richesse à portée de main, inexploitée jusqu’à présent», regrette Moussa Traoré, un autre joueur de belote. Et d’ajouter : «C’est la même triste réalité dans la Région de Mopti (Centre) où j’ai vu des femmes peules verser leur lait de vache invendu à leur retour du marché. Faute de moyen de transformation.»

Si l’agro-industrie tarde à prendre son envol au Mali, quelques pionniers tentent de se frayer un chemin. Tako Sylla est la directrice de USTako Sarl, une entreprise qui opère dans la transformation agro-alimentaire, particulièrement la mangue séchée. Il est 14h quand nous la rencontrons dans ses locaux à Kati. L’ambiance y est calme, les machines sont à l’arrêt. Le chef de la production, Diarra, nous conduit dans le bureau de la directrice. Décoration sommaire, une table marron sur laquelle sont posés un ordinateur et une imprimante. Au mur, est affiché le graal : une licence certifiant la qualité de la production.

FAIBLEMENT TRANSFORMÉ – Vêtue d’un bazin violet et coiffée d’un foulard de même teinte, Tako Sylla, ancienne de l’École nationale d’administration (ENA), explique : «La mangue malienne fraîche et transformée est très prisée à l’international. Ce n’est pas pour nous jeter des fleurs, nos clients des pays de l’Union européenne (UE), d’Afrique du Sud et du Moyen-Orient nous le font savoir.» Avec un si fort potentiel, «même pas 1% de la mangue malienne est transformé pour faire du jus, des séchés, de la confiture, des produits esthétiques…) Imaginez les retombées économiques pour tout le pays si on pouvait transformer 10 à 15% de notre production», regrette-t-elle.

Pour commercialiser les mangues transformées, les producteurs sont toujours obligés de passer par des intermédiaires. «Nos produits transitent par des entreprises dans les pays voisins pour pouvoir être sur le marché international. Notre nom ne figure nulle part, ne parlons pas des retombées économiques qui nous échappent». Cette situation peut être résolue avec un centre de contrôle (sans lequel le Mali ne peut pas exporter les mangues séchées), qui n’est autre qu’une chambre froide pour stocker les produits transformés, les contrôler et faire des containers à partir du Mali. Sans quoi, les quantités de mangues séchées produites chez nous se retrouveront dans les statistiques d’autres pays. En plus, le secteur fait face à un problème de labellisation. Or, c’est le label qui permet de donner une identité aux produits.

Seulement une dizaine d’entreprises dans le domaine de la mangue transformée répondent aux normes. À Sotuba, s’est installée l’unité industrielle Sahel Industrie. Bâtiment de couleur verte, le calme y règne : c’est la période morte. Nous rejoignons Touré Aminatou, la directrice générale, au premier étage. De la fenêtre du bureau, on peut contempler le lever du soleil qui illumine tout le bureau malgré le rideau. À gauche de la fenêtre, se trouve une étagère sur laquelle sont entreposées plusieurs gammes de thé et surtout un trophée.

Sahel Industrie est l’une des rares entreprises de l’agro-industrie à assurer sa propre production avec plusieurs coopératives, la transformation, la commercialisation et la distribution à travers sa filiale Sahel Distribution. «Toutes les entreprises ici font face à un moment donné aux problèmes d’accès à la matière première. C’est pourquoi nous nous sommes mis à la production de notre matière première», explique la technicienne. « À titre d’exemple, il y a une période de l’année où les mangues, comme bien d’autres produits de l’agriculture, sont en abondance et pourrissent même au bord des routes ; tandis qu’il y a une période où elles disparaissent, entrainant une fluctuation des prix », souligne Touré Aminatou.

En plus de l’accès difficile aux financements, le secteur agro-industriel fait face à un problème d’emballage de qualité notamment pour les jus, sirops et autres. «Les emballages made in Mali que l’on trouve sur le marché local sont plus chers que ceux importés, malheureusement. Il est impératif d’accorder des subventions à ce niveau pour permettre aux unités d’emballages de réduire leur prix de vente. Sans cela, nous sommes obligés d’importer pour contrôler nos prix», explique la patronne de Sahel Industrie.

POINTS NOIRS – Mamadou Traoré est directeur général de Laham Industrie, une entreprise d’abattage de bovins et autres petits ruminants, et de commercialisation de la viande. Son unité industrielle est dans la Région de Kayes, à 610 km de Bamako. Vêtu d’un jean bleu délavé et d’une chemise bleu ciel, il nous reçoit à la direction de son industrie à l’ACI 2000, entre une série de réunions. Pour Mamadou Touré, le manque d’énergie constitue le plus grand obstacle pour les industriels. «Nous subissons le délestage comme tous les Maliens. Mais au niveau industriel, c’est pire, car il impacte toute la chaîne et rapidement les prix s’envolent malgré nous», soutient-il.

Par ailleurs, notre interlocuteur déplore l’insuffisance d’infrastructures globales, notamment les routes. « Les zones de production et de consommation sont distantes », souligne Mamadou Traoré. Dans le secteur du bétail par exemple, le cheptel se trouve dans des zones reculées des régions du Centre. Et si un industriel se rapproche de cette zone, il s’éloigne de la zone de consommation et vice versa. «Tous les autres secteurs font face au problème de transport. Il n’y a pas de consommation dans les zones de production. On doit donc déplacer nos produits », affirme-t-il.

Dans les deux cas, il y a besoin d’infrastructures routières. Le problème de route fait que les camions achetés à 80 millions de Fcfa l’unité, prévus pour durer 10-15 ans, sont amortis en 3 ans, surtout les camions frigorifiques». À cela s’ajoute, selon Mamadou Traore, le problème de main d’œuvre qualifiée locale : il faut bien intervenir sur les camions en cas de panne. «Il nous arrive souvent de faire venir des spécialistes du Sénégal pour réparer nos machines», déplore-t-il.

Au début de la chaine, l’industrie viande-bétail fait face à un problème de matière première de qualité. «Dans l’élevage traditionnel, il faut se promener avec les animaux à la recherche de pâturage. Malheureusement, cette manière de faire ne donne pas de qualité à la viande. Pour avoir une viande de qualité, il faut emboucher les bovins», explique l’industriel. À l’autre extrémité : la difficulté pour exporter. «La libre circulation des personnes et des biens, prônée par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), n’est toujours pas une réalité. On est confronté au protectionnisme des marchés intérieurs, à la corruption et aux longues attentes aux frontières. Si par jour la viande perd 2% de son poids, imaginez les pertes…», relève Mamadou.

En plus du marché sénégalais, Laham Industrie satisfait des commandes en provenance de la République Démocratique du Congo, de la Chine et des Émirats Arabes Unis.

Mamadou Touré rappelle que le Mali est le deuxième producteur de bétail en Afrique de l’Ouest, derrière le Nigéria. La filière bétail sur pied représente à elle seule près de 60 milliards de Fcfa, et plus de 60 milliards de Fcfa pour la viande. Le potentiel pourrait atteindre les 600 milliards de Fcfa, mais il y a un préalable : conclure avec ces États des accords bilatéraux. «Pour y arriver, nous démarchons nos autorités, depuis plus de 5 ans. Sans succès», confie le jeune chef d’entreprise.

OS/MD (AMAP)