Diéma : Alpha « fléfiéla », une vie de flûtiste

Alpha « fléfiéla », l’un des derniers flutistes de la contrée, avec son instrument fétiche dans une rue de Diéma (Photo AMAP)
Diéma, 25 avr (AMAP) A Diéma, dans l’Ouest du Mali, vit un flutiste renommé dans la contrée, qui exerce avec amour et passion son métier, lui permettant de nourrir et d’entretenir dignement sa nombreuse famille. Cet homme courtois et taquin, qui met en avant le cousinage à plaisanterie, dans toutes ses relations sociales, Alpha Diombana, est le président de la Rencontre des communicateurs traditionnels pour le développement (RECOTRADE). On l’appelle affectueusement Alpha « fléfiéla », (Alpha le flûtiste). Il est forgeron, âgé de 71 ans, marié à quatre femmes. «Parce que l’islam interdit de prendre plus de quatre épouses, je m’en tiens à ce petit nombre», dit-il avec humour.
Alpha Diombana a appris à « s’amuser », d’après lui, avec la flûte depuis l’âge de dix ans. Au départ, il confectionnait ses flûtes à partir de tiges de mil qu’il choisissait minutieusement dans les champs, après les récoltes. La longueur de la flute ne dépasse pas normalement une coudée, l’équivalent de quarante à cinquante centimètres. Sur la tige, il perce à l’aide d’un fer rougi au feu, le nombre de trous qui convient. La flûte d’Alpha Diombana est son compagnon. « Je ne m’en sépare jamais, sauf, dit-il, en cas de force majeure ».
Diombana a abandonné « l’école des Blancs » en classe de 6ème année, parce qu’il ne pouvait « plus tenir, tellement (il) était attiré par sa flute ». Son père ne s’est jamais opposé à sa décision de quitter les bancs de l’école. Intarissable, il raconte : « Lorsque je partais à l’école, j’apportais ma flûte, en la mettant sous mon boubou pour la cacher du maître. Mais un jour, patatra ! « Pendant la récréation, lorsque j’étais emporté sur ma flute, gonflant et dégonflant mes deux joues, en faiasnt le beau entouré de filles, qui entonnaient de jolies chansons, notre maître se dirigea furtivement vers moi et saisit l’instrument pour le détruire », raconte Diombana.
« Il m’a mis en garde de ne plus jouer la flûte à l’école si je ne veux pas être radié. A la descente, je me suis procuré une autre flûte plus attrayante et au son plus beau. Alors, commençait pour moi, une série de randonnées. Partout où je voyais un groupe de deux à trois personnes, je me mettais à souffler dans mon instrument à trous, passionnément », poursuit-il. Ainsi, chaque nuit, après le dîner, il se rendait, de famille en famille, pour animer les veillées des vieilles femmes filant le coton, à la lumière vacillante des lampes à huile, assistées de jeunes filles qui chantent et claquent des doigts, emportées par la musique. C’est ainsi que j’ai appris à adapter mes notes aux chansons du terroir ou, parfois, modernes ».
Alpha a participé à des Semaines locales, régionales et meme des Biennales. Il a arrêté d’y prendre part en 2003. « A l’époque, l’organisation de la Biennale, affirme l’artiste, a connu de sérieuses perturbations conduisant, en un moment donné, à l’arrêt de cette activité qui, pourtant, avait un grand rôle dans la consolidation de la paix et de la cohésion sociale, à travers le brassages des populations, les échanges d’idées et d’expériences.
Alpha Diombana dit rendre grâce à Dieu parce qu’il ne vit pas au crochet de quelqu’un, malgré ses maigres moyens. « Si on m’invite à une cérémonie, les personnes généreuses, qui ne manque jamais, même si leur nombre a considérablement diminué, offrent des cadeaux», dit-il.
Jure de la flûte n’est pas sa seule source de revenus. Dans sa maison, il y a une forge. Ses frères et lui, aidés par leurs enfants, travaillent quotidiennement le fer. Sur sollicitation de certains amis, il fabrique souvent des haches, des houes, des couteaux, etc.
Pendant l’hivernage, ses enfants cultivent le champs familial. En dehors de ces occupations, il prend son bâton de pèlerin pour faire la médiation, en cas de conflits. L’ancien président par intérim du Mali, Dioncounda Traoré, lui a offert, en 2014, une moto, rappelle-t-il, exprimant sa reconnaissance à son bienfaiteur.
A travers son art, il a tissé, à travers tout le Mali, de très bonnes relations. A l’endroit de celles-ci, Alpha, dit son désir de remplacer l’ancienne moto déjà amortie.
Il réclame, des autorités, « au moins une médaille du mérite » avant « ma mort et pas n’importe laquelle, celle avec effigie abeille », précise l’homme avec un malin sourire.
Le flûtiste regrette que parmi ses enfants, aucun ne s’est intéressé à la flute. « Ils détestent tous ce métier, parce que proscrit pas l’Islam qui interdirait la musique tout comme les loisirs, l’ivresse ». « Le jour où je ne serais plus de ce monde, déclare-t-il, il n’y aura pas de relève dans ma famille. Chaque fois que j’y pense, je suis désappointé », lâche Alpha.
« Si j’ai un second regret, c’est qu’avec l’évolution, les gens ont tendance à se détourner de la flûte, à la dévaloriser si je peux m’exprimer ainsi. Lors des cérémonies de mariage, de baptême, etc. on fait appel généralement aux joueurs de balani show, aux DJ, aux rappeurs, pour l’animation », se désole Alpha.
L’artiste appelle les jeunes à s’intéresser davantage à nos valeurs morales et sociétales. « Qu’ils s’en approprient, sans quoi, laisse-t-il entendre, sous peu, toutes nos identités culturelles risquent de partir en fumée ».
Dans cette bande sahélienne où vit notre flutiste, les récoltes sont aléatoires à cause, très souvent, de la mauvaise pluviométrie, comme un peu partout au Mali. « Mais, pour m’en sortir, je n’ai que ma flûte… », déclare Alpha Diombana, en sortant sa tabatière pour chiper.
OB/MD (AMAP)