Zones minières de Kayes (Ouest) : L’or ne brille pas pour tous
Par Bandé Moussa SISSOKO
Kayes, 25 nov (AMAP) Depuis plus de quatre décennies, l’or est considéré comme la principale ressource économique du Mali. Les populations des zones minières de la Région de Kayes, dans l’Ouest du Mali, ne pas sont satisfaites des retombées de l’exploitation des mines d’or dans leurs villages et villes. Dans cette partie du pays, qui peine à voir le bout du tunnel, le métal jaune ne profite pas à tout le monde. En dépit de la présence de cinq grandes compagnies minières sur son territoire, le cercle de Kéniéba est la parfaite illustration de cette situation. Car, cette localité, dont les populations souhaitent l’érection en région afin de sortir du gouffre, est toujours à la traîne en matière de développement.
Pourtant, en septembre 2019, l’Etat a adopté un nouveau Code minier qui accorde une place de choix aux préoccupations des populations riveraines des mines, en termes de réalisation d’infrastructures et de création d’emplois.
Ce code prévoit, en son article 83, un Fonds minier de développement local qui s’impose à tous les détenteurs de titres miniers (grandes et petites mines). Quelques 75% de ce Fonds doivent être investis dans les secteurs prioritaires : développement des infrastructures de désenclavement (aménagement et construction de routes ou de pistes rurales, ponts et types), développement d’infrastructures et d’équipements de base, construction ou renforcement d’adductions d’eau, amélioration des services sociaux de base, construction ou renforcement de Centres de santé et d’établissements scolaires, promotion de l’emploi.
Par ailleurs, il est également prévu la création d’un cadre de concertation entre miniers, collectivités et populations riveraines pour explorer les pistes de collaboration.
« Le Mali a orienté sa politique vers une nouvelle vision à travers le nouveau code minier selon lequel, l’activité minière doit s’inscrire dans un projet de développement durable sur le plan social, économique et environnemental, notamment dans les communautés et régions abritant les sites d’exploitation », fait remarquer le gouverneur de la Région de Kayes, le colonel Moussa Soumaré.
Cependant, déplore le colonel Soumaré, « dans la Région de Kayes, les populations locales semblent ne pas être satisfaites des retombées de cette présence massive de mines d’or dans leur milieu ».
Les incompréhensions auxquelles des solutions doivent être trouvées sont essentiellement liées au processus de recrutement dans les sociétés minières, notamment à Sadiola (cercle de Kayes), à leur participation au développement local et à la promotion des opérateurs économiques locaux. « Les citoyens des communes lésées du Cercle de Kéniéba doivent réclamer leur dû, en interpellant les décideurs (élus) sur la gestion des ressources allouées aux collectivités locales. Les communes doivent bénéficier des retombées des conventions qui lient l’Etat aux compagnies minières. Et les communes riveraines des mines ont droit à 75% sur les dividendes », précise Abdoulaye Coulibaly, président du Conseil régional des organisations de la société civile de Kayes.
GESTION LOCALE EN QUESTION – Il soutient que les entreprises minières honorent leurs engagements parce que les patentes reviennent aux collectivités et sont distribuées à trois niveaux (commune, cercle, région), la commune se taillant la part du lion.
« Le complexe Loulo-Goungoto tient une conférence chaque année. Ce complexe dit qu’il a un fonds de développement au niveau de la collectivité commune et au niveau de la collectivité cercle. De ce fait, le Conseil de Cercle bénéficie des retombées de ces patentes et cette collectivité œuvre pour le développement du cercle qui compte 12 communes au total. S’il y a des communes qui sont défavorisées, je pense que le Conseil de Cercle doit faire face à ces cas et la solidarité territoriale doit prévaloir dans ces communes qui sont liées par l’histoire et la géographie », souligne M. Coulibaly.
Certaines communes (Kéniéba et Sitakily) récupèrent plus d’un milliard, alors que les budgets d’autres n’atteignent même pas 6 millions de Fcfa. Ces dernières se contentent de petites patentes des commerçants et ont de la peine à payer leurs employés, notamment les enseignants.
« En tant que société civile, nous devons agir comme des sentinelles. Nous allons contrôler le moindre centime de nos collectivités. Nous avons quatre mines dans notre commune. Mais, l’or ne brille pas pour nous et pour tout le Mali. C’est l’extérieur qui en profite beaucoup. Je vais me battre jusqu’au bout pour que ma commune, Kéniéba, et tout le Mali puissent s’en sortir », déclare Seydou Sow, 3è vice-président du Conseil local de la Société civile de Kéniéba.
ASPECTS ENVIRONNEMENTAUX – « Tous les projets ont fait l’objet d’études d’impact environnemental. En matière d’environnement, on ne peut pas cerner tous les aspects d’où la mise en place d’un système de gestion environnemental », soutient le consultant de la SEMOS-SA, Samballa Diakité à Kayes.
Le directeur de l’environnement de la SEMOS, Amadou Macalou, et son collègue de la communication, Modibo Kéïta, annoncent que la mine réserve 50% de ses emplois à la commune rurale de Sadiola et appui les communautés locales dans la réalisation de leurs projets d’hydraulique villageoise, santé, éducation, électrification, protection de l’environnement (lutte contre l’usage abusif des produits toxiques dont le cyanure), préservation des héritages culturels et touristiques. « Grâce à la SEMOS, l’hôpital Fousseyni Daou de Kayes a pu se doter d’un scanner de 900 millions de Fcfa », ont-ils dit.
« Toutes les compagnies minières disposent d’un département de développement communautaire qui sert d’interface entre la mine et les villages environnants. Dans certains cas, le travail de ce département est appréciable. Parfois, leurs programmes et domaines qui sont généralement ciblés, ne correspondent pas à la réalité du village », souligne Bambo Kéïta, expert en environnement à Kéniéba.
« Les compagnies minières construisent des écoles dans certains hameaux de culture où l’effectif atteint à peine 10 à 15 élèves. Alors que le village voisin, qui compte plus de 50 élèves, ne possède même pas d’école. Parfois, les sociétés laissent les villageois s’exprimer sans les accompagner dans leurs initiatives », dit-il pour illustrer ses propos.
Selon lui, la mine n’intervient que dans un rayon de 10 à 15 km. De ce fait, les localités dans ce rayon sont prioritaires, en termes d’assistance. « C’est pourquoi, il y a toujours des tensions dans leurs zones d’intervention », nous confie l’expert Kéïta.
S’agissant de la réhabilitation, les mines font beaucoup d’efforts, notamment dans le domaine de la protection de certaines espèces animales et végétales. Par rapport à la lutte contre l’érosion, elles se réfèrent aux champs déterminés dans leurs permis d’exploitation. « Concrètement, ces sociétés ne font rien pour protéger la Falémé, en dépit des mouvements de protestation, car cette question ne figure pas dans leur cahier de charges et ne touche pas leur champ d’intervention », dit encore Bambo Kéïta.
Quant à la protection contre la poussière et autres, le complexe minier Loulo-Goungoto a réussi à bitumer une bonne partie (10 km) du tronçon Didjan-Goungoto qui est réservé aux autres usagers de la route, la mine ayant sa propre voie. A Fadougou, la mine a réalisé un forage dans chaque village et hameau de culture pour atténuer les effets de la poussière.
« Ces réalisations ne suffisent pas, car les routes ont besoin d’être arrosées régulièrement ou bitumées. C’est le même problème entre Kéniéba et Tabakoto où les véhicules de la mine empruntent la Route nationale (Kéniéba-Kayes), comme d’autres usagers. Les populations ne font que respirer de la poussière à cause des activités directes ou indirectes de ces mines », a déploré M. Kéïta.
BMS (AMAP)