Jeunesse et chasse aux margouillats : Véritable parcours initiatique
Par Ahmadou CISSÉ
Bamako, 22 avr (AMAP) La traque et la consommation de ce reptile sont des activités pratiquées par les gamins. Cela leur permet, non seulement, de raffermir les liens d’amitié et de fraternité mais, aussi, de leur donner le goût de l’effort. Cette pratique a traversé les âges. Sans prendre des rides. Les enfants courent d’arbre en arbre, de colline en colline, à la traque d’un «gibier» qui ne se laisse pas faire. Rapide, le margouillat trouvé dans son milieu est bon joueur. Il donne du fil à retordre aux mômes malgré les lance-pierres et autres équipements de fortune.
Le margouillat est un saurien de la famille des iguanes, sous famille des agamidae qui compte 400 espèces. Ce cousin du lézard se trouve dans tous les pays chauds (Europe du Sud, Amérique Latine, Australie, Afrique….).
Le margouillat d’Afrique de l’Ouest est appelé «l’Agame des Colons» (Agama Agama). Il est ovipare et vit en groupe d’une dizaine d’individus, dirigé par un mâle dominant qui défend vigoureusement son territoire d’abord par un changement de couleur. Pour défendre son territoire, il devient violent et livre bataille avec les mâles concurrents. Il y laisse souvent sa queue.
Moussa et ses petits camarades n’ont pas eu la chance d’aller à l’école. Alors, ils profitent de leur temps libre pour mettre un peu de couleur à leurs journées de grisaille. À 14 ans, Moussa, mine de rien, est dans l’adolescence. Mignon, son sourire est dévastateur. Ses habits et son corps d’adolescent ont besoin d’un zeste de propreté. De toute évidence, il ne s’encombre pas de règles d’hygiène. La teinte jaunâtre de ses dents s’est acquise avec les mauvaises habitudes alimentaires et d’hygiène buccale. Il est né dans une relative pauvreté. Ses parents vivent du maraîchage et de petits métiers.
Lui et ses compères sont des ennemis jurés des petits reptiles, souris et autres petites bêtes qui traînent dans le coin. Pantalon délavé, haut déteint et chaussure en plastique abîmée, le petit Moussa n’a qu’un souci : se faire le maximum de margouillats. Moussa n’est pas seul dans cette partie de chasse. Il est le chef d’une bande de mômes qui l’accompagne très souvent dans les arbustes pour chasser le margouillat (mabouillat ou mabouya en créole antillais), nom courant (ou nom vernaculaire) donné en français à plusieurs espèces de ce reptile.
En bon leader, Moussa se fait obéir par ses compagnons au doigt et à l’œil. C’est lui qui choisit le site de la chasse et le moment de donner l’assaut final contre les cibles camouflées dans les buissons ou tapies dans les terriers.
Les enfants détiennent un bout de savoir sur les reptiles. Pour distinguer un margouillat, ça ne cherche pas de midi à quatorze heures. Le saurien est reconnu par son corps massif, une tête bien marquée et une longue queue effilée. Il possède quatre membres avec chacun cinq doigts très fins pourvus de griffes.
Il mesure entre 15 et 40 cm. De couleur brune, il peut devenir bleu orange aux extrémités par un effet caméléon. Sa couleur peut devenir rouge sombre en cas de bagarre avec un autre mâle ou bien d’autres couleurs pendant la saison des amours.
QUIÉTUDE PERTURBÉE – La bande de Moussa sait, aussi, que la femelle est plus petite et conserve une couleur beige. Le margouillat a la peau recouverte d’écailles avec quelques épines sur la nuque. C’est un animal terrestre et diurne qui passe la nuit dans les arbres ou dans un terrier. Il affectionne les habitations et ne dédaigne pas manger les restes de repas.
Ce reptile est inoffensif. De temps en temps, il fait des mouvements de tête comme pour faire un coucou aux hommes. Il aspire juste à une vie tranquille, sans vagues. Fuyant les hommes, il se cache dans les buissons, les concessions abandonnées et les chantiers de construction peu fréquentés.
Le margouillat des savanes de l’Afrique au sud du Sahara vit essentiellement d’insectes. Pour remplir sa panse, il est actif de jour. Il avale les insectes d’un trait. Son système digestif est une machine très simple qui évacue rapidement les déchets à cause de l’étroitesse de l’estomac.
Mais cette quiétude est perturbée par les intrépides enfants. Moussa, fils d’une famille nombreuse dans le quartier périphérique de Zirakoro Dounfing, à la lisière de la Commune III de Bamako, est un redoutable prédateur. Une espèce de terroriste pour la communauté des petits reptiles. À chaque fois qu’ils sortent le bout du nez pour chercher de quoi se mettre sous la dent, Moussa et ses copains sont aux aguets.
Sur les hauteurs de Lassa, quartier de la Commune III, prisé par des expatriés et des adeptes du mouvement Rasta, le paysage accidenté offre une résidence idéale aux margouillats et bien d’autres reptiles. Ils se cachent sous les rochers, parcourent les pistes et grimpent aux murs à la recherche de nourriture. À la différence de leurs cousins, les serpents, les margouillats sortent le jour même si la chaleur est étouffante. Ventre vide n’a point d’oreilles. Moussa et sa bande en ont déjà capturé une dizaine. Le butin est sous bonne garde.
La nuit s’annonce festive. À 17 heures, le soleil est en train de finir sa course à l’horizon. Bientôt, il fera nuit sur les hauteurs de Lassa. Le ventre de Moussa gargouille chaque fois qu’il pose son regard sur le chapelet de margouillats. Il les imagine déjà sur le feu en train de cuir au grand plaisir de son palais. «Nous chassons presque tous les jours. Souvent, on peut capturer ou tuer 20 margouillats que nous apportons à la maison pour les griller», témoigne fièrement le jeune chasseur. Et d’ajouter avec une pincée d’humour : «Tonton, (oncle), c’est délicieux hein!». Non, merci, répondit le passant, votre serviteur.
Il faut dire que les activités de jeunesse varient en fonction de la communauté et même de la culture. Dans le Sud du Mali, les enfants sont friands de la viande de margouillat. Selon les connaisseurs, sa viande est relativement tendre. Quelques minutes sur le feu suffisent. Certains disent même qu’elle est riche en protéine. Donc, très nourrissante. Les sauterelles aussi passent régulièrement dans la casserole.
Dans une partie du Septentrion, le chat est clandestinement chassé par les enfants, notamment à Tombouctou. Que l’on soit du Sud où les enfants mangent les reptiles et les insectes ou dans le Nord où le chat est, très souvent, au menu de la fête des mômes, la chasse en bande a beaucoup d’avantages.
\SECRET DE L’INITIATION – Au delà du plaisir de chasser en bande, ces activités de jeunesse cachent le grand secret de l’initiation de l’enfant à la première étape de son adolescence. Le passage à l’état d’adulte nécessite en effet un parcours. En milieu bamanan, cette étape de la vie est déterminante pour l’enfant d’aujourd’hui qui n’est autre que l’adulte de demain.
«À cet âge, je consens que mon enfant participe à la chasse aux margouillats. Attention, ce n’est pas parce qu’il a faim. Non. Je nourris convenablement ma famille même s’il faut admettre, par ailleurs que les temps sont durs. L’enfant doit apprendre à fournir des efforts pour gagner quelque chose. La récompense est au bout de l’effort», explique passionnément Maliki Traoré, chef d’une famille nombreuse aux flancs des collines de Lassa. Il ajoute : «quand les enfants sortent en groupe, ils sont généralement de la même génération. Le travail en équipe est le premier avantage. Ils bravent également la peur des autres reptiles présents sur le terrain, sous les pierres, au détour d’une colline».
M. Traoré est menuisier. Il avoue, avec fierté, avoir chassé et mangé des centaines de margouillats. Sa mémoire lui revient après trois secondes de pause : «lorsque nous étions enfants, mes camarades d’âge et moi, munis de nos lance-pierres, allions jusque sur les hauteurs de Koulouba, traversant le village du même nom, à la recherche des petits reptiles. Et le soir, c’était la fête au village si l’on ne revient pas bredouille». « Et surtout que les meilleurs chasseurs étaient cotés auprès des filles », rigole-t-il.
De l’avis de Mamary Diarra, peu de gens ayant passé l’enfance au village, peuvent dire n’avoir pas chassé ou consommé du margouillat. Cependant, la consommation du margouillat peut provoquer une inflammation localisée et des infections intestinales chez l’homme. Surtout la viande de la femelle qui devient adulte au bout de 18 mois (le mâle au bout de deux ans). Bon à savoir, la femelle pond une petite dizaine d’œufs qu’elle enterre dans un trou humide. Les petits naissent au bout de deux mois et mesurent 4 cm de long.
Les chercheurs sont allés jusqu’à révéler que le margouillat est le vecteur de six espèces parasitaires. Selon une étude parue en 2007 dans une revue scientifique, le margouillat est le vecteur de nombreux protozoaires et helminthes. Sur 310 spécimens prélevés par les chercheurs, quatre espèces de nématodes, une espèce de cestode et une espèce de trématode ont été retrouvées sur l’animal. La prévalence la plus élevée concernait les nématodes, en particulier Strongyluris brevicaudata (82,3% d’infection). Les margouillats mâles adultes étaient plus parasités que les femelles, selon les scientifiques. Malgré ce bémol, la chasse au margouillat ne connaît pas de saison.
AC (AMAP)